Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 433

président, toujours sur le même ton, calme et grave. De temps en temps, le commissaire du gouvernement intervenait avec chaleur, manifestant une indignation violente contre les accusés.

Une question posée par le président occasionna une scène curieuse. L'acte d'accusation portait que, pendant la nuit qui avait suivi la mort, on avait entendu le père causer avec sa concubine dans la chambre à coucher, contiguë à la pièce où reposait le cadavre, et lui confier avoir donné du poison. Le président demanda done à la concubine où elle avait passé celte nuit, si elle était seule. Au lieu de répondre, elle se couvrit le visage de son mouchoir, comme si elle pleurait. Les femmes qui m'entouraient, et qui n'avaient trouvé jusqu'alors dans les débats que des circonstances aggravantes, s’écrièrent : € Ah! la pauvre créature! Ah! la malheureuse! Pas encore convaincue, et une telle demande! Et publiquement!» Le murmure devint général, le silence fut long à se rétablir. Sans s’émouvoir, le président, conservant son impassibilité, dit alors : « L'importance de laccusation portée rend ma question indispensable. Il faut que je demande encore une fois à l’accusée avec qui elle a passé la nuit. » Nouvelles larmes de la complice, nouvelle explosion de murmures plus accentués, nouvelles injonctions de silence, le président renouvelant sa question avec la même insistance. Enfin, l’accusée répondit : « Avec M. Trimaux! » Elle ne put nier la conversation qu’elle avait eue avec lui, mais prétendit que Trimaux voulait simplement dire qu’il craignait qu’on ne l’accusät du crime. Le premier médecin entendu fut alors rappelé, et déclara qu’il avait conseillé à Trimaux de faire immédiatement la déclaration du décès à la municipalité, en demandant une enquête; Trimaux n'avait pas suivi son

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