Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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heures. En causant avec le ministre Chaptal et le conseiller d’État Fourcroy, à qui j'avais à transmettre les compliments de plusieurs de nos savants connus, je me suis convaincu que Chaptal n’est pas très renseigné sug la valeur de leurs recherches; qu'au fond il s’en soucie médiocrement, bien qu'il leur ait témoigné à diverses reprises des égards et de la considération. Foureroy semble connaître mieux et apprécier comme il convient les travaux de Reil, Sämmering et Klaproth (1). L’excellent vieux Lagrange était aussi là; il paraissait géné dans son costume de conseiller d’État.

La transformation de tous ces savants en hommes politiques leur fait jouer, à mon avis, un rôle inférieur et déplacé. Nécessairement, la science à laquelle ils s’étaient voués devient pour eux chose accessoire; ils sont portés à ne plus se faire valoir devant le public qu'aux dépens des travaux de savants qui continuent à travailler dans le silence de leur cabinet. Assurer aux savants l’aisance et le calme, indispensables à leur indépendance matérielle et morale, voilà, je crois, la véritable mission d’un gouvernement. S'il les méle aux agitations civiles et politiques, ou bien le savant n’est pas apte à ses fonctions nouvelles, ou bien, s’il leur convient, c’est au détriment de son caractère et de la science ; trop souvent, en effet, sa renommée est alors exploitée dans des vues purement intéressées.

Journellement on entend parler de meurtres et de suicides parmi le peuple ou la petite bourgeoisie. Il y a quelques jours, un individu armé de trois pistolets a pénétré dans l’échoppe d’un mercier près du Louvre, qui avait épousé, il y a six mois, la femme divorcée du pre-

(4) Reil (J.-Chrétien), Sœmmering (Samuel-Thomas), savants médecins; Klaproth (Martin-Henri), chimiste et minéralogiste.