Charles de Butré 1724-1805 : un physiocrate tourangeau en Alsace et dans le margraviat de Bade : d'après ses papiers inedits avec de nombreux extraits de sa correspondence...

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combien Butré était rentré découragé chez lui. Elle est curieuse en ce qu’elle montre que notre gentilhomme tourangeau rencontrait toujours encore à Carlsruhe cette vieille accusation de jacobinisme, contre laquelle il avait tant de fois déjà protesté en vain. La lettre n’est point datée, mais elle doit évidemment avoir été écrite dans la quinzaine qui suivit le décès du prince.

« La vôtre que je viens de recevoir me rend bien justice en pensant que je suis vivement pénétré de la perte précieuse qu’on vient de faire; quel coup douloureux pour Mer. le margrave! Voudrez-vous bien avoir la bonté de lui témoigner toute la part que je prends à un évènement aussi funeste et si affligeant pour la tendre affection qu’il avait pour un aussi digne prince. Le hasard m’avait fait lire la semaine passée un journal où j’appris ce malheur, dont je fus suffoqué. Je dis le hasard, parce que n’ayant nulle société et nulle liaison avec personne, je vis dans une profonde retraite, comme je fais depuis dix ans, accablé de toutes les horreurs qui se passent, n'ayant jamais paru dans aucune assemblée, ni dans aucun acte de gouvernement, où on ne verra certainement mon nom nulle part, m’étant toujours tenu dans la plus grande obscurité, sans avoir jamais eu la moindre envie de me mêler du gouvernement des hommes. S'il me reste quelque désir, ce serait plutôt de gouverner des arbres, mais comme je n’ai pas le moyen d’avoir le moindre petit jardin, il me faut me restreindre à la vie passive et solitaire que je mène, en demandant tous les jours la fin d'une vie qui m'est très-indifférente, mais qui ne me fait point oublier combien un peu de part dans

des peuples et la chronique des cours, toutes sortes de légendes plus ou moins apocryphes. Elle tient sa place dans la longue série de fatalités groupées à l'arrière-plan de la cause célèbre de Gaspard Hauser, qui passionna l'Allemagne et l’Europe, il y a cinquante ans, et sur laquelle nous n’avons pas à nous prononcer ici.