Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875

EN Aire.

dont je connais ou je soupçonne les projets, je n'aurais pas hésité à refuser. Mais, dans les circonstances actuelles, c'eût été une lâchete et un crime, et je reste (1). »

La Commune avait réussi à faire élire à Paris ses principaux chefs : ils arrivaient à l’Assemblée en vainqueurs et en maîtres, Robespierre avec sa morgue et sa soif de domination, Marat avec les hallucinations de son cerveau malade, tous enfin avec leurs passions haïineuses, s’inspirant de celles du peuple et les inspirant tour à tour. Mais plus le péril était grand, plus la prudence et l’habileté étaient nécessaires dans la lutte qui allait s'engager ; plus il fallait combiner ses efforts et ménager ses forces. Vergniaud le comprenait ; aussi ne voyait-il pas sans déplaisir. et sans crainte les Louvet, les Barbaroux, les ardents du parti, les fidèles de M Roland, lancer contre ces ambitieux, au risque de les grandir en en faisant des martyrs, de vagues accusations de dictature (2). Pourtant, lorsqu'il

(4) Vatel, t. II, p. 144.

(2) « Vergniaud, plus calme parce qu'il était plus fort, conservait le sangfroid de l'impartialité au milieu des préventions et des haines. » (Lamartine, Girondins, livre XXXI, $ xvmn.)

Une lettre de Vergniaud, écrite, à cette époque, à ses amis de Bordeaux, et restituée pour la première fois à l'histoire par M. de Lamartine (ibid, ibid.), lettre empreinte de mélancolie et remplie d’intéressants détails sur la situation respective des deux partis entre lesquels commence une lutte qui doit être sans relâche et sans merci, nous apprend combien coûtait au grand orateur le silence qu’on lui reprochait, et quels scrupules lui en faisaient un devoir. Voici cette précieuse page, qui peint, dit M. de Lamartine, « l’état de la patrie par l’état de l'âme de Vergniaud. »

« Dans les circonstances difficiles où je me trouve, c'est un besoin pour mon cœur de s'ouvrir à vous. Quelques hommes qui se vantent, d’avoir fait seuls le 40 août crurent avoir le droit de se conduire comme s'ils avaient conquis la France et Paris; je ne voulus pas m'abaisser devant ces ridicules despotes. On m'appela aristocrate. Je prévis que, si l'existence de la commune révolutionnaire se prolongeait, le mouvement révolutionnaire se prolongerait aussi et entraînerait les plus horribles désordres. On m'appela aristocrate, et vous connaissez les événements déplorables du 2 septembre. Les dépouilles des émigrés et des églises étaient en proie aux plus scandaleuses rapines, je les dénonçai : on m’appela aristocrate. Le 47 septembre, on commenca de renouveler les massacres : j’eus le bonheur de faire rendre un décret qui placçait la vie des détenus sous la responsabilité de l’Assemblée : on