Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875

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his maintenant la force de disputer à la mort la noble victime que nous avons accompagnée jusqu'à l'échafaud, et de ressusciter ce beau génie pour l’étudier et l'admirer encore avec vous ? Il le faut bien essayer. Vergniaud était de taille moyenne. Rien dans la foule ne l'eût signalé aux regards : il n'était pas de ces hommes en qui l'instinct du vulgaire devine et salue une grandeur qui s'impose. Mais, à la barre, il se transformait : sa forte stature, ses épaules massives donnaient à la pose de l’orateur je ne sais quelle majesté sculpturale: ses yeux noirs lançaient des éclairs, ses lèvres épaisses semblaient faites pour répandre à flots la parole. Son nez, large et court, se relevait avec une sorte de fierté; ses cheveux châtains, rejetés en arrière et soigneusement bouclés (1), ondoyaient avec grâce aux secousses de sa tête. Son organe était grave et sonore, et d'une singulière souplesse : son geste était toujours noble, et sa diction toujours pure. Son front était serein, son regard mélancolique, son attitude lang'issante. Ses yeux se fermaient souvent à demi, comme pour le sommeil, et sur sa bouche errait Sans cesse un sourire de dédain, car cet athlète amoureux du repos avait conscience de sa force alors même qu'il n’en usait pas. Mais, lorsque l'âme se répandait sur cette physionomie, lorsque le génie venait l'éclairer, c'était un autre homme, à qui la parole donnait une vie nouvelle, et qui « s'illuminait d'éloquence (2). » Né pour la tribune, c'est sur ce piédestal qu'il apparaissait grand d’une grandeur surhumaine, beau d'une beauté idéale, c'est là qu'il se transfigurait! « On

bunal civil du département de la Gironde, le 28 fructidor an IV, pour les demoiselles Lemoine, contre Jeanne Toutin, veuve Dané, dite femme Lacombe, p. 44. (Bibliothèque de l'ordre des avocats, Mémoires, t. V.)

(1) M. Alluaud nous apprend (Nofice, p. 9) que la seule recherche qu'il mit dans sa parure, malgré ses habitudes modestes, consistait dans les soins qu'il faisait donner à sa coiffure.

(2) Lamartine, Histoire des Girondins, livre XVILL, S V.