Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875

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l’aimait familièrement au pied de la tribune: on s’étonnait de l’admirer et de le respecter dès qu'il y montait (1). »

Ilexposait avec une netteté lumineuse, discutait avec une virile énergie, prévoyant toutes les objections, ne reculant devant aucune difficulté, s’attachant, d’ailleurs, aux principes, et ne s'occupant des personnes que lorsqu'un impérieux devoir l'y obligeait, écrasant alors ses adversaires du poids de son indignation vertueuse et de sa méprisante ironie, et s’élevant si haut pour les combattre, qu'il semblait lui-même échapper à leurs coups.

On a signalé, dans les procédés oratoires de Vergniaud, Je ne sais quoi de factice ; et quelques-uns affectent de traiter son éloquence de déclamation. Des critiques aussi sévères n'ont-ils pas négligé de l'étudier, et ne le jugent-ils pas sur des lambeaux de discours? Oui, Vergniaud était un artiste : ce reproche, adressé aux Girondins, plus qu'aucun autre il le méritait, et il ne s’en füt point offensé (2 2). Loin de dédaigner la forme, cet indispensable vêtement de la pensée, il la voulait riche et brillante, et tenait qu'un orateur ne saurait attacher trop d’ importance au style, ni lui accorder trop de soin. Aussi sa phrase, d’une élégance toujours soutenue, avait-elle, c'est un grand poète qui l'a dit, « l'harmonie des plus beaux vers (3). » A l'exquise pureté, à la magnificence et à l'ampleur de son langage, on l'eût pris pour le dernier de ces anciens dont le souvenir remplissait et ornaït son esprit.

Avait-il trouvé une formule saisissante, il la reproduisait volontiers ; mais ce n’était point là une vaine musique dans laquelle il se complaisait. Si chaque période nouvelle répétait l'expression destinée à frapper les esprits, elle dé-

(1) Lamartine, Histoire des Girondins, liv. VI, $ xv.

(2) C'est M. Louis Blanc qui a dit des Girondins, à quiil ne peut pardonner leur « bourgeoisie » : « C’étaient des artistes égarés dans la politique. » (Révol. Franç., t. VI, p. 145.)

(3) Lamartine, Histoire des Girondins, liv. VI, $ xv.