Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875

Lo veloppait et complétait la pensée, la présentait sous un aspect nouveau, la multipliait, pour ainsi dire: et l’orateur ne s’arrêtait que lorsqu'elle était épuisée. Il produisait ainsi, grâce à la dignité magistrale de son débit, de puissants et prodigieux effets.

Il aimait, après s'être adressé à la raison, à s adresser aux sens : il recherchait ces images brillantes qui donnent à l'éloquence de la couleur et de l'éclat. Il capüivait ses auditeurs et semblait vouloir s’éblouir lui-même ; car le prestige qu'exerçait sa parole, lui aussi il le subissait. Saisi d'enthousiasme, il trouvait alors de plus sublimes accenis : oubliant et dédaignant le vulgaire débat auquel il venait de prendre part, il s'élevait, bien au-dessus des mesquines passions qui s’agitaient à ses pieds, « dans ces hautes et pures régions qu'habita toujours son âme (1); » on eüt dit qu'il contemplait face à face et dans leur pleine lumière les types éternels du beau et du bien.

Ces grands mots de patrie et de liberté, ce mot, sacré pour lui, autour de lui si peu compris, d'humanité, ne pouvaient, sans l'émouvoir, retentir à ses oreilles ; lui-même ne Jes prononçait pas sans une sorte de trouble religieux. Calme au milieu des orages, il savait élever sa voix forte et vibrante au-dessus des clameurs et des huées : et le silence se faisait soudain, comme si l’on eùt entendu la voix inème de la patrie et de l'honneur.

Vergniaud ne composait point ses discours comme ses plaidoyers. Ce n'est pas qu'il n’eùt rien conservé des habitudes du barreau. S'il n'écrivait pas ses discours, il les préparait avec soin, méditait longtemps avant de parler, et « ne prenait la plume que lorsque ses idées étaient parfaitement arrêtées (2): » il rédigeait alors (3) des notes com-

(1) Michelet, Histoire de lu Révolution française, t. A, p. 552.

(2) Notice de M. Alluaud, Vafel, t. Ier, p. 9.

(5) «I se servait ordinairement, pour écrire, de petits carrés de papier. S'il s'agissait d’un mémoire où d'un discours destiné à l'impression, il en-