La question du sel pendant la Révolution
10 —
. se fait à main armée, et les défenseurs des revenus du fisc, hors d'état d'y opposer une résistance suffisante, se sont la plupart dispersés. Le peuple, dans d’autres endroits, a contraint les gardiens des greniers publics à lui distribuer le sel au prix qu’il a fixé luimême. Il faut s'étonner que dans la plus grande partie du royaume, l’ordre établi par les lois n’ait pas encore été renversé, mais chaque jour l’exemple gagne; et vous savez, Messieurs, ce qui vient de se passer à Versailles autour de vous et sous les yeux du roi; il importe que vous considériez sans retard, sans aucun délai, ce qu’il convient de faire dans de pareilles circonstances, et je vais vous soumettre en abrégé les réflexions que la situation présente des affaires m'a suggérées.
« Je doute, Messieurs, qu’un décret de l’Assemblée nationale, soutenu du pouvoir exécutif dans l’état de balancement et de contradiction où ce pouvoir se trouve aujourd’hui, fût suffisant pour rétablir partout l'impôt du sel tel qu’il existait avant la subvertion de l’ordre ; et quand il serait possible d’y parvenir, trouveriezvous conforme aux lois de la justice et de la bonté, que Sa Majesté déployât contre ses sujets toute la puissance des armes, dans un moment où vous n'avez pas l'intention de maintenir à l'avenir l'impôt sur le sel selon son ancienne constitution ? Le peuple qui ignore vos intentions, et qui doit respecter les lois établies, s’est rendu coupable sans doute par ses insurrections ; mais le Roi, Messieurs, quia connaissance de vos dispositions futures, répugne, avec raison à faire usage des moyens rigoureux pour le rétablissement d’un ordre de choses qui ne doit être que passager. »
Mais que faire? Le gouvernement se trouve entre la Scylla du peuple insurgé et la Charybde des créanciers de l'Etat. Necker le reconnait assez ouvertement :
« En même temps d’autres difficultés se présentent: il ne serait pas de votre prudence de supprimer en entier l'impôt du sel, sans avoir eu le temps d’examiner mûrement de quelle manière un revenu de soixante millions peut être remplacé convenablement, et sans avoir la connaissance des ressources auxquelles il faudra recourir pour suppléer aux besoins de l'Etat; et vous aurez à prendre en considération l'effet que pourront faire cette année sur les revenus territoriaux les mouvements populaires, qui tendront encore pendant longtemps à baisser le prix du pain et le prix des grains. Une multitude de circonstances, qui n’échappe-