La Serbie

LA SERBIE

2

Royaume des Serbes, Croates et Slovènes

La solution de la question agraire

On sait que dans la partie du nouveau royaume des Serbes, Croates let Slovènes qui appartenaît jadis à l’Au‘riche-Hongrie, la question agraire fut foujours un prorblème difficile et que l'ancienne Autriche ne se préoccupa jamais d'en chercher unit solution nette ét équitable.

La chose s'explique par la politique générale dont s'inspirait l'Autriche. Dans un pays où les grands propriétaires fonciers étaient d'accord avec las grands industriels pour exploïler les masses populaires, i ne pouvait malheureusement (pas être question d'une législation en faveur des pauvres, d'autant moins que ceux-ci appartenaient à des races élrangères et im£prisées. Et si l'on veut rechercher la cause de la rapidité de la décomposition de Pancienne monarchie, on la trouvera avant tout dans un mécontentement national, accru d'un mécontentement social.

La première tâche qui s'impose aux nouveaux Etats constitués sur les ruines de l'ancienne monarchie, est donc, de règler celte question, même, s’il le faut, par des moyens révolutionnaires. Ce nest qu’en donnant satisfaction aux masses populaires que la consolidation des Houveaux Etats pourra ise faire.

Les dirigeants de notre jeune Elal ont compiis leur devoir à cel égard: parmi les divers grands problèmes qu'ils ont à résoudre. ils se sont mis d'accord piour tr6ge: en premier dieu la question agraire. ls ont reconnu. en effet. que de sa solution satisfaisante dépendent la tranquilité et l’ordre social dans un pays agricole.

Le monde «a consiaté, au cours de celte guerre, les étonnantes prouesses de Ja nation serbe. Outre lardent amour de la liberté dont üks ont donné des preuves à travers les siècles, il est incontestable que l'héroïisme qu’ils ont dépensé a tenu aussi à l’heureuse siluation sociale, de la Serbie. Un paysan libre, propriétaire deisa terre el de sa maison. évrouve pour son pays un sentiment autrement fort duc dies masses pauvres, livrées à la merci d'exploiteurs. En défendant isa patrie, il défend sa maison. Or, s'il y a quelque part au monde un peuple chez qui le sentiment ‘de la patrie soil à ce point lié au sentiment de son bien, c’est certainement le peuple serbe.

Aujourd'hui qu'un malaïse général tra-

verse témondie sous Ta forme du bolchévisme, nous pouvons affirmer, sans crainte être démentis par les faits, qui notre pays sera totalement épargné. Le paysan serbe tient à tel point dans ses mains seules les destinées de son pays que toute révolle: chez lui ne serait qu'une révolte contre lui-même.

Dès lors, quoi de plus naturel que de tâcher de faire bénéficier de ce bien cette partie du peuple des Serbes, Croates et Slovènes à qui. jusqu'à présent, la marâtre ancienne monarchüe refusait la jouissance complète des droits du travaïlleur et du producteur libres.

Déjà le prince-régent Alexandre avait fait. dans sa récente proclamataïon, la promesse solennelle que la solution de la question agraire serait sa première tâche: « Je désire quon aborde — dit-il — dès maintenant, la solution équitable de la quiestion agraire et que l’institution des kmets et les grandes propriétés foncières soient

supprimées. Les terres n'apparliendront désormais qu'à Dieu et aux paysans, comme c'est le cas depuis longtemps @n Serbie. »

Le gouvernement na pas lardé à réa-. liser les promesses de la proclamalion qu régent. Une commission spéciale a été instituée qui, sous la présidence de ministre de la prévoyance sociale, M. Koratch (so- | cialiste), a élaboré un projel concernant le partage des terres. Dans une séance extraordinaire, le conseil des ministres yougoslaves a approuvé ce projel el fixé son entrée en vigueur avant la prochaïne $aison des semailles.

‘Les idées principales de ce projet sont: les suivantes: les « kmels » et aulres pay-+

sans occupés dans les terres des « begsagt:

et des colons étrangers en Dalimalie let en Goricie deviennent immédiatement propriéaires des terres qu'ils ont cultivées jus-: qu'à maintenant, sans être soumis à une obligation quelconque envers leurs anciens propriétaires. L'Etat se chargera d’indemniser ces dernüers, soit par le versement d'une somme correspondant à la valeur de leurs biens, soit par le service dune rente, {soit encore par la remise d'autres lerres, au cas où ils exprimeraient le désir de les cultiver eux-mêmes. En ce qui concerne les autres grandes propriétés foncières, PEtat interdit leur aliénation; telles seront partagées entre les paysans sans terres el ceux qui ont le plus souffert de la guerre. Les anciens (propriétaires de ces terres seronf indiemnisés, lexCeption faite pour: 2)995 membres de la dynastie habsbowrgé0 : les membres de dynasties d'Etats Æinemis£ c) ceux dont'les terres seraient ta-don d& la dynastie habsbourgeoise et qui n'auraient-pas encore été aliénées; d) les possesseurs de propriétés acquises pendant la guerre.

Les grandes contrées boisées seront prorpriété nationale. Les paysans auront Île droit de sy fournir de bois et d'y mener, leurs troupeaux en pâturage.

Un Office spécial, dont feront partie des intéressés, sera constitué ‘pour la réalisation de ce projet. L'ouverture dés tra-

vaux de cet Office sera proclamée solen-.

nellement par un manifeste dix régenit.

La rapidité avec laquelle tous des par= tis politiques sont tombés d'accord pour’ régler cette question prouve qu'ils ln ont compris l'énorme ümportance. Cete rapidité a paru d'autant plus nécessaire que le paysan, délivré politiquement, est impatient. Dans sa simplicité, il trouve tout naturel que Isa liberté | politique s’accompagne de sa liberté économique. |

- Ajouions que le partage des terres s’effectuera sans tenür compile de la nationalité des paysans. Tous les déshérités, même de race étrangère, bénéficieront du même droit de posséder et de la libre jouissance de leur travail.

Le premier acle du nouveau (gouviernement témoigne d'une grande sagesse politique. Nous sommes heureux de constater que notre démocratie (est: une démocratie d'action et non une démocratie -de vaïnes paroles.

Dr L. Popovitch!

La Conférence de la paix

Première lettre

Le début de la Conférence de la Paix a apporté à la Serbie un hommage et une déception. Revenant sur sa première décision, qui avait amené une protestation énergique des délégations serbe et. belge, la Conférence a décidé d'accorder à la Belgique et à la Serbie trois délégués, au lieu de deux, rendant ainsi un hommage mérité aux martyrs el à l'héroïsme des peuples serbe ct belge. Mais cet acte de reconnaissance tout platonique ne saurail compenser celte autre décision, à laquelle nous sommes autrement sensibles el qui est plus importante, celle de reconnaître à la Serbie seule le droit de se faire représenter à la Conférence et non à tout le Royaume des Serbes, Croales el Slovènes. Il est juste de dire que, là aussi, il y a eu de notre faute, car nous n'avons pas su ou pas voulu présenter notre union nationale comme l'achèvement organique de ce que la Serbie avait commencé à réaliser au cours du 19me el au commencement du 20me siècle. D'autre part, il convient d'ajouter

‘qu'en fait et sinon formellement,notredélégation |

agit au ngm de toute là nation. La Conférence semble accepter lacitement la chose, et la question peut être considérée comme réglée.

La seconde séance plénière, tenue le 25 janvier, a laissé cepeudant une plus pénible impression encore aux représentants des petites nations. Le premier délégué belge, M. Huymans, s'est levé pour défendre le droit de son pays à être représenté dans toutes les commissions. D'une voix sonore, claire et élégante, avec une pointe d'émotion et un accent de haute franchise, il a protesté contre la décision du Bureau en vertu de laquelle les dix-neuf Etats considérés comme petits Etats, ne seraient représentés dans les commissions que par cinq délégués en tout, tandis que chaque grande puissance se réservait le droit de nommer deux délégués pour chaque commission, L'effetproduit par cette protestalion fut énorme. Les journalistesaméricainsetanglais, qui pour la plupart n'avaient pas compris ce qu'avait dit le distingué ministre belge, s'étaient rendu compte, par le seul aspect de la Conférence, qu'il se passait quelque chose d’imprévu et d'important.

il est regrettable que la presse n'ait reproduit qu'un petit résumé du beau discours de M. Huymans. En l’entendant parler, on se sentait dans une véritable assemblée qui délibère et qui apporte des décisions. Après M. Huymans, les représentants des autres petits Etats s'associèrent en quelques mots à sa protestation, réclamant chacun pour son pays une représentation particulière dans chacune des commissions.

C'est M. Troumbitch qui fit une déclaration dans ce sens.au nom de la Serbie.

Chaque déclaration étail traduite en anglais

par l'interprète officiel et lue par conséquent une seconde fois, de sorte que toute la séance menaçait de n'être remplie que de protestations.

Ce fut alors que M. Clemenceau intervint pour défendre la décision du Bureau.

On a lu le discours de M. Clemenceau, mais il faut l'avoir entendu pour apprécier loute sa portée politique. Avec une franchise brutale, M.Clemenceau a rappeléaux petits Etats la cruelle vérité que le monde est toujours organisé sur la puissance ef que les grands Etats qui disposent des moyens matériels seraient en droit de régler les questions selon leurs intérêts particuliers : « Si nous n'avions pas eu devant nous la grande question de la Société des Nations, peut-être aurions-nous été égoïstement.conduits à ne consulter que nous-mêmes. C'était notre droit. Nous n'avons pas voulu Île faire et nous avons convoqué luniversalité des nations. Nous les avons convoquées pour leur demander leur concours. Mais il faut savoir la manière d'organiser un concours ».

Lundi 10 Février 1919 .— No 6

2 08 RE

Et M. Clemenceau, en vieux parlementaire, parla des inconvénients des grandes commissions et chercha à convaincre l'assemblée que Îles droits des petits Etats n'avaient pas été tésés.

M. Huymans ne se laissa pas désarmer. Il répliqua à son tour, et ce fut un duel bien original que celui qui mettait aux prises le plus grand homme de la Grande Nation et le représentant de la Belgique martyre. L'incident se termina par l'acceptation de la décision du Bureau sous réserve d'amendements ultérieurs,

L'impression rapportée de cette séance n'est pas du tout favorable pour les petits Etats. Nous ne craignons pas les décisions des grandes puissances pour autant qu'elles-mèmes ne seront pas directement intéressées, mais nous avons fout à craindre si l’une de <es grandes puissances, l'Italie, s'érige en juge dans une matière où elle est en même temps partie. On a l'impression que la thèse de M. Sonnino aurait trouvé quelques adeptes, à savoir que l'Italie et le royaume sudslave ne doivent pas être admis devant la Conférence sur un pied d'égalité. Ge ne seraient donc pas les autres puissances, non directement intéressées, qui auraient à décider de nos fronlitres, mais bien l'Italie qui, d'après cette thèse, rémplirait à la fois le rôle de plaidant et de juge. Il faut espérer que ce point de vue ne sera pas accepté par la Conférence, mais les paroles de M. Clemenceau sont loin de nous fortifier dans cet espoir. ,

hs

Au point de vue professionnel, la presse serbe a été l'objet de marques d'attention. Nous avons obtenu une place sur les bancs serrés des journalistes, dans la salle de la Conférence. Au Cercle français de la presse étrangère, installée dans le somptueux palais Dufayel, avenue des Champs Elysées, la presse serbe a un salon particulier à sa disposition, qui est relié par un fil téléphonique spécial avec la délégation serbo-croate et slovène, à l'Hôtel Campbell.

Porrmieus.

Inquiétudes injustifiées

Prenant au sérieux un appel des protestants de Hongrie, adressé aux protestants du: monde entier, quelques journaux suisses {« Berner Tagblatt » du 12 janvier, « Neue Zurcher Zeitung » du 2 février) ont exposé leurs inquiétudes au sujet dun prétendu danger qui menace les protestants magyars et allemands. futurs citoyens de la Roumanie et de la Serbie orthodoxes.

En ce qui concerne la Serbie, ces inquiétudes sont sans fondement let injustifiées.

Dans l’ancien royaume de Serbie, la liberté

des religions est garantie par les loïs fondamentales du pays. La Coustitution de la Serbie. qui fut l’une des plus libérales et des plus avancées de l’Europe, a été étendue, ces jours derniers, à tout Le territoire du Royaume uni des Serbes, Croates et Slovènes et on peut considérer comme certain que cette Constitution, dans sa base essentielle, restera en vigueur également après la réunion de YAssemiblée constir tuante, Une deuxièmie garantie, non moins efficace, pour la liberté de la croyance dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes est la tolérance religieuse, bien connue, des Serbes. En Serbie, en effet, ce pays orthodoxe par excellence, s'est trouvé souvent, même À la tête du ministère de l'instruction publique et des euites, un catholique romaïn. Pas un seul citoyen de Serbiïe ne vit IX rien de contraire À sa manière de voir. Une toncap-

oo ne oo

FEUILLETON

Les relations serbo-grecques

par St. STANOYÉVITCH professeur à l'Université de Belgrade

(Suite et fin)

11 faut surtout faire tessortir un fait des plus importants: c'est qu'entre la date de la mobilisation grecque et la chutd de M. Venizelos, il n'y eut rien de changé dans Ja situation générale, ni dans les Balkans, ni èn Grèce, ni ‘en Serbie, ni dans Les relations mutuelles des deux nations. Rien ne se passa qui pat provoquer un changement de vues sur Te caractère @u traité sérbo-grec et sur son application: Je iour où la Bulgarie décréla ia mobilisation, ‘comme te jour wù elle à déclaré la guerre à la Serbie. les conditions étaient les mêmes. Puisque la situation n'avait pas subi la moindre modification, poukquoi le roi Constantin Mme Mdéclara--il pas au cgouvernement serbe, immédiatement après la mobilisation bulgare, que, ‘selon lui, d'après le traité scrbogrec, la Grèce n'était pas obligéq d'entrer en guerre contre la Bulgarie, au cas où celle-ci attaquerait la Serbie? Pourquoi retenir au pouvofr M. Venizelos qui pensait le .contraire, comme le gouvernement et Comme tout Le miomide la savaient? Pourquoi, une fois qu'il était décidé à ne pas faire la guerre, décréler la mobilisation et que devait donc signifier celta mobilisation ?

La réponse est simple et facile. Le roi Constantin a participé au complot ourdi par l'Allemagne et par le tzar Ferdinand! contre la Serbie. Non Seulement fl était prêt à ne pas remplir envers a Serbie le: obligations du traité serbo-grac, mais aussi il à

lui répondit,

voulu retenir au pouvoir M. Venizelos jusqu'au jour de l'attaqüe bulgare, et ordonna la mobilisation pour qüe -la Serbié, comptant sur l'action de l'armée grecque, dégageât toute Ia partie sudest de sa frontière. à «

Les ,conséquences de cette attitude du éroi Constantin ne pouvaient qu'être importantes et décisives. Traversant une .frontière non défendue, les Bulgares, non feulement -envahirent avec une extrème facilité la Macédoine, mais tncore coupèrent aussitôt toute liaison entre les armées serbes et les contrées du Sud et, ce qui était capital, interdirent À ces armées fleur seule et naturelle retraite. Par son simple teste d'avoir décrété une faussa mobilisation et d'avoir retenu jusqu’au dernier :mioment M. Venizelos au pouvoir, le roi Constantin a obtenu que l'armée et le peuple serbes qui fuyaient devant l'ennemi, ne pussent pas se retirer par les voies maturelles du Sud, et fussent rejetés! dans Jes gorges impraticables et malsaines fe l'Albania et vers la littoral adriatique. Cette retraite obligatoire soccasionna la mort da plusieurs dizaines de milliers fa foldats serbes et, par sur” croît,/ d'un nombre considérable de femmes et d'enfants. Si lo roi Constantin avait songé, après sa victoire sur les Bulgares, en 1913, à s'appeler, comme l'empereur Basile IT, le meurtrier des Bulgares (bulgarochtonos), il peut, après tout ce qu'il a fait on automne 1915, ajouter encore avc honneur À ce ‘titre celui d'eassassin des Serbes » fserbochtonts),

Quo tout cela ait Eté eombiné ‘et machiné d'avance, ion pèué s'en rendre parfaitement compte par let ait que, malgré la mobilisation grecque, la Bulgarie n'a pas envoyé un seul bataillon

sur Là frontière hellénique et a concentré toutes ses: forces icontre :

Ja seule Serbie, Et lorsque le ministre bulgare à: Athènes a envoyé après la mobilisation grecque et après s'être entretenu avec M. Venizelos, une dépêche ularmante À son gouvernétent, of de Sofia, qu'il pouvait .être tranquille, parce que

la gouvernement bulgare savait mieux que M. Venizelos ca que

ferait la Grèec et quelle attitude .elle prendrait dans le conâlil bulgaro-serbe. :

Ja me rappelle vivement 1e matin où M. Liouba Yovanbovitch,

notre ministre de l'Intérieur, me communiqua da «dépêche de notre légalion d'Athènes lui hgnionçant qua le roi Constantin ayant déclaré qu'il n'était pas d'accord avec son premier ministre sur l'interprétation du traité serbo-greo cet sur ses engagements envers la Serbie, M. Venizelos avait dû démissionner. Naturtllément, une grando effervescence et une vive exaspération furnt ressenlies partout en Serbie dès qu'on apprit cette nouvelle si inattendue. . + La suite, on la connaît. La Serbie, trompée et trahie, a Iufé tant qu'elle a pu, Comme nous l'avons (dit plus haut, elle croyail à la mobilisation grecque; après avoir dégarni Meur fromtièré orientale, voyant leur retraite 5 facilement .et si vite coupée, les Serbes — l'armée et une;partie de la population civile durent traverser l’Albanie où un grand ombre d'entre eux fron« vèrent leur tombeau. s-

Lu peuple ét Ja nation helléniques n'étaient pas responsables des actes commis par le roi Constantin envers la Sérbis à l'automne do 1915. D'ailleurs, la logique des circonstances et des événements est toujours plus forte que tout dans da vi des nations. La situation géographique et les principes moôraus ont une force incontestable qui s'impose toujours .en définitive Les nécessités de la réalité ont plus de puissance que le hommes. i

La situation géographique des peuples serbe el gite, & br” suité logique des événements et des circonstances les ont toujours es Les Se l’autre, Certainement, il y à eù des erreurs, des garements et l'on me s'est pas jour î dépit même dés incorrections, les een M none cl Serbes et les Grecs dans la même direction et tout Les .n engagés à s'entendre et à travailler en commun. .

L'alliancé serbo-grecqua s'impose d'elle-même. C’est la plus toglqué