La Serbie

— No 12

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Année.

RÉDACTION et ADMINISTRATION | @, rue du XXXI Décembre - Genève Téléphone 14.06

"" Le mémoire italien présenté à la Conférence : de la paix est un document très intéressant et très instructif: Ilest bon également. que le public connaisse l'opinion serbe, afin d'être à À hjême de juger les deux thèses serbe et ita> lienne sur l'Adriatique.

On sait que l'Italie à réussi à faire reserver 3 x la compétence exclusive et immédiate du Conseil des Dix, le problème de la délimitation italo-sudslave. Le royaume serbo-croäte-slovène p'ayant pas de représentant dans cet aéropage, notre délégation a jugé nécessaire de demander formellement à la Conférence que la Serbie et l'Italie soient traitées dans cette question particulière, sur le pied d'égalité. Les serbes ont estimé, en effet, qu'il serait injusté de laisser à l'Italie toute facilité d'exposer à huis clos ses arguments, sans donner l’occasion aux délégués de l’autre partie, de faire directementetcontradictoirement, leursobservations.

_ dernières séances de cette question de procédure qui, jusqu’à présent, n'a pas trouvé de solution. IL devient donc particulièrement nécessaire de se servir de la presse, pour présenter clairement les deux thèses, qui au lieu de trouver des points de contact sont en train de s'éloigner l’une de l’autre, au grand détriment des véritables intérêts des peuples respecif. Le mémoire présenté à la Conférence par

Je constate avant tout que la Serbie, con…._ trairement aux assertions italiennes, n'est ni _ mégalomane ni extrémiste. Par sa proposition » d'arbitrage, elle a fait preuve de modération et de conciliation. Tout arbitrage comporte des | risques et des sacrifices inévitables. L'Italie en … refusant d'accepter l'arbitrage de M. Wilson, _ adonc perdu le droit de qualifier nos prétentiôtis dé mégalomanes, voire de « pazzesche » (insénsées), pour nous servir du terme peu élégant qu'emploie le grand journal milanais « II Secolo », parlant de nos revendications nationäles. La thèse italienne prend, comme point de départ, le traité de Londres de 1915. Les Serbes estiment que ce traité n'est obligatoire m pour la Serbie ni pour le royaume serbocroato-slovène, En outre, ce traité a été annulé par les déclarations catégoriques faites par les

_ Alliés sur le caractère général et les buts concrets de la guerre. En invoquant le traité de _ Londres, l'Italie confirme le fait que ses prétentions territoriales sortent du cadre wilsonien, du moment qu'elle s'appuient principalement sur une convention secrète conclue par …_ la diplomatie de l’ancien régime. Nous avons _ vu que la Conférence a successivement écarté tous les traités secrets dont elle a eu à s'occuPerjusqu'à présent (colonies allemandes, avantages promis à la Roumanie), ce qui nous fait espérer que le traité de Londres subira le Même sort. En tout cas, on peut admettre que, très probablement, l'Amérique se ‘refusera à discuter la question adriatique sur la base d’un traité conclu derrière le dos du peuple qui est le plus intéressé. La délégation italienne compte également sur cette éventualité. Aussi a-t-elle jugé nécessaire de motiver ses prétentions par d’autres arguments encore.

L'Italie réclame d'abord l'strie avec une petite bande de Croatie, y compris Fiume. À l'appui de cette prétention, on invoque, du côté italien, des arguments géographiques., La Vénétie italienne, déclarent les Italiens, fait partie intégrante, au point de vue géographique, de la province de Venise: on ne peut pas la diviser et elle doit être attribuée tout entière à l'Halie. Les Alpes italiennes forment pour

l'halie la meilleure frontière stratégique. Les Serbes estiment, eux, que la Conférence

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È LES Revendications italiennes

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JOURNAL POLITIQUE HEBDOMADAIRE

Paroissant . tous les Lundis

Rédacteur en che :

de la paix n'ést pas un congrès de geographes et, à l'argument géographique, ils opposent l'argument ethnique, l'argument de la volonté du peuple.

En Istrie, il y a deux zones bien distinctes:

une zone slave et une zone à prépondérance |

italienne. L'Istrie orientale et l'Istrie centrale sont purement slaves, tandis que le littorai de l’Istrie occidentale est italien. La ligne de démarcation est très nette et si l’on peut discuter au sujet des régions mixtes de l’Istrie occiden-

tale, tout le reste qui est purement slave veut

et doit rester slave. La délégation italienne a tort de dire dans son mémoire que là population slave de l'lstrie accepte la domination italienne. Si la délégation est de bonne foi, ce dont nous ne voulons pas douter, on l'a grossièrement trompée. Non seulement aucun village slave, mais aucun particulier n'acceptera, sinon, par la force, cette domination. Là-dessus, les Italiens ne sauraient se faire d'illusions,

La conférence aura donc à se décider pour l'une ou l'autre thèse: thèse géographique ou thèse de justice ethnique.

Mais ce n'est pas tout. Contrairement à |

l'opinion attitrée du principal organe italien, le « Corriere della Sera », la délégation italienne réclame encore la moitié de la Dalmatie. La disproportion entre l'élément serbo- croate, (629.000) et l'élément italianisant(18.000)--est tellement énorme que pour justifier sa demande de la Dalmatie, le mémoire italien, n'invoque que la raison purement stratégique : « La Dalmatie sera une menace pour l'Italie, si elle est entièrement aux mains d'un Etat». Il n'invoque pas la raison géographique, car, évidemment, celle-ci fait défaut ici, malgré les efforts de quelques nationalistes italiens acharnés à prouver que la Dalmatie fait un tout avec l'Italie, aussi au point de vue géographique ! La conférence aura donc à juger si l'argument italien, tiré de la peur d’un danger imaginaire, doit prévaloir sur la volonté unanime de la population serbo-croate, qui, après l'esclavage autrichien, a horreur même des bienfaits de la domination autrichienne.

La délégation italienne revendique aussi Fiume en usant d'un argumerit très curieux.

En 1915, l'Italie ne s’intéressait pas à Fiume et

ne craignait pas la concurrence d’une Fiume austro-hongroise, concurrence véritable, parce qu'elle venait d’une grande puissance. Aujourd'hui, à la perspective d'une Fiume yougoslave, italie craint pour Trieste la concurrence de la Fiume yougo-slave, concurrence moins sérieuse en tout cas que celle envisagée en 19/5. L'argament italien est né de l'embarras dans lequel se trouve M. Sonnino pour expliquer l'absence de Fiume dans la liste des bénéfices promis à l'Italie pour son entrée en guerre. Parce que, en somme, si Fiume a réellèment une importance vitale pour l'Italie, elle l'avait aussi en 1915, Mais M, Sonnino est connu pour ses étonnantes transformations. Il écrivait jadis que Trieste n'était pas nécessaire à l'Italie; quoi de plus surprenant que de le voir aujourd'hui réclamer une ville qu'il avait oubliée lors des longs et laborieux pourparlers avec l'Entente, en 1915?

*

La lecture du mémoire italien permet de faire deux constatations importantes et très graves. D'abord, l'Italie s’arroge le droit et le devoir exclusif de défendre l’Adriatique contre la poussée et les prétentions allemandes : « Seule l'Italie étant une grande puissance maritime peut avoir les moyens de réaliser ce programme. » Les Serbes estiment que l'Adriatique devrait être gardée en commun par l'Italie et par le royaume sudslave. Une telle garde serait en tout cas plus sûre. Les forces

Di Lazare MaRcOvITCH, professeur à

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l'Université de Belgr

italiennes ne suffisent pas, à notre avis, à contnir l'Allemagne. N'oublons pas que l'Italie a passé les meilleures années de sa jeunesse dans la Triplice pour éviter, d'après les paroles du comte Nigra, une guerre dangereuse avec l'Autriche. Comment peut-elle donc aujour-

ui. posséder. la foree nécéssaire pour s'op-

mis d'exprimer des doutes à ce sujet et de se demander si les Italiens ne viendront pas un jour à penser que le meilleur moyen de se protéger contre l'invasion germanique serait de s'entendre avec les Allemands. Il ne faut pas oublier non plus que l'Italie aura aussi à se défendre contre les Slaves, si elle réalise son programme adriatique actuel. Parce que,

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poser au monde germanique réuni? [l'est per-

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et c'est la seconde constatation que nous voulons faire, le mémoire italien nous traite, d'ores et déjà, en ennemi contre lequel l'Italie .veut prendre de plus sérieuses garanties, Nous ne sommes pas les ennemis de l'Italie, mais l'Italie, en s'annexant des territoires slaves, en lstrie et en Dalmatie, deviendra-inèvi|-tablernent notre ennemie. Nous ne nous jetterons pas dans les bras de l’Allemagne, comme d'aucuns semblentle croire, Ce qui est à craindre, dans ce cas-là, c'est que l'Italie ne reprenne plutôt sa place abandonnée à eôté de l'Allemagne. Voilà à quoi peut aboutir la réalisation des désirs italiens tels qu'il sont exprimés dans le mémoire remis à la Conférence.

L. M.

de M. Pachitch

Un de nos rédacteurs a eu le plaisir de s’entretenir longuement avec M. Pachitch, le premier délégué du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes:à la Conférence de la Paix. ‘ r tout d’abord ce qui en était de la situation dans le pays, que des télégrammes tendaneieux.. représentent comme agité. M. Pachitch, lui a répondu :

— La situation intériéure du royaume est aussi satisfaisante que possible. Un ordre parfait règne partout. Le parlement provisoire, où siègent les délégués de touts les régions serbo-croates-slovènes s'est unie demers-àBelgrade. Ce parlement exercera son contrôle sur le gouvernement jusqu’à la Constituante. Quoique notre Royaume soit, d’ores et déjà, un pays fer-

| mement organisé et des plus stable, on ré-

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pand, il est vrai, depuis quelque temps des nouvelles tendant à représenter la situation du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes comme trouble et incertaine. On a dit qu'il avait surgi des conflits entre catholiques et orthodoxes et que les Croates combattaient les Serbes’et, inversement, les Serbes les Croates. Ces bruits sont dénués de tout fondement. Toutes les branches de notre peuple, sans distinction de religion, travaillent à la consécration de notre unité.

Au sujet de la question adriatique, M. Pachitch a déclaré ceci :

— Notre esprit de conciliation s’est manifesté dans notre proposition d’arbitrage. Cette proposition, nous l’avons faite dans la conviction que ce moyen était le plus propre à faire aboutir une solution équitable du problème adriatique. La question adriatique s’est en effet complètement transformée à la suite des grands évènements qui se sont succédés depuis 1914. Le traité de Londres, conclu à notre insu, entre l'Italie et l'Entente et que nous ne pouvons pas.reconnaître, a été contracté à une épodue où l'on croyait que l’Autriche-Hongrie survivrait à la guerre. On supposait aussi que la Russie, recevant Constantinople, arriverait à la Méditerrannée. Enfin, l’on ne doit pas oublier non plus que l’on comptait terminer la guerre en six mois, avec l’appoint des trois millions de soldats que l'Italie devait fournir. Il faut noter encore que les signataires du traité de Londres ne connaissaient pas, en réalité, l’état de cho_ses existant dans les régions dont ils disposèrent. Or, dès lors, tout a été boulversé. Les Etats-Unis, en entrant en guerre, ont proclamé le droit de chaque peuple à disposer de lui-même. Ils se sont prononcés contre les traités secrets, mettant au-dessus de tout, la volonté des peuples. Or, ce programme inspiré par le président Wilson, c'était tout notre idéal national: n’était-ce pas, en ellet, pour atteindre cette indépendance que le peuple serbe avait versé tant de sang et sacrifié un si grand nombre de ses fils les meilleurs ?

| Les circonstances s'étant modifiées com-

plètement, il est évident que le traité de Londres ne doit plus produire ses effets. : Récemment, un journal italien, l'« Epoca » | le disait fort justement, ce qui prouve qu’en

| Italie même, il se trouve des esprits éclairés {

disposés àadmettre franchement la vérité. Et c'est une vérité aussi que l4 guerre a pris un aspect bien différent de celui qu’elle avait à son début. Tous les parlements alliés, tous les hommes politiques des pays aliés ont, à diverses reprises, souligné ce trait fondamental de droit et de liberté qui caractérise notre lutte commune. C’est avec cette devise que l'on a gagné la guerre. Or, en proposant l'arbitrage, qu’avons-nous voulu? Epargner aux Alliés la gêne qu'ils pourraient ressentir à déclarer caduc publiquement ce traité secret, après les assurances et les déclarations qu'ils ont faites au sujet du but général de la guerre. Nous avons voulu encore éviter à l'Italie une renonciation formelle. Nous avons alors soumis à la Conférence, par l'intermédiaire de son illustre président M. Clemenceau, no: tre proposition d'arbitrage. C’est par la Conférence et. avec le. consentement de l'Italie que nous avons voulu, par une décision arbitrale, arriver à la solution du différend italo-sudslave. On a affirmé que cette proposition était de nature à diminuer l’autorité de la Conférence. Rien de plus inexact. Une des tâches principales de la Conférence n'est-elle pas, en effet, de résoudre de façon amicale et satisfaisante tous les différends interalliés, afin de faciliter la formation de la Scciété des Nations ? L'autorité de la Conférence ne pourrait qu'être augmentée si toutes les questions interalliées recevaient des solutions qui ne laissent place à aucun sentiment de mécontentement et à aucune opposition, D'ailleurs, la Conférence elle-même ne décide pas à la majorité des voix, mais elle cherche à concilier les intérêts divers et à trouver des terrains d'entente.

Pour ce qui est de Fiume, celle-ci est le port naturel yougoslave, la ligne BelgradeZagreb-Fiume étant l'artère principale de notre vie économique; Fiume est pour nous ce que Anvers est à la Belgique. Sans Fiume, nous serions obligés de construire de nouveaux ports et nous verrions notre développement retardé pour des dizaines d'années. Or, le peuple serbe, après tout ce qu'il a souffert déjà, ne mérite pas qu’on Jui enlève ses moyens de relèvement économique. En ce qui concerne le Banat, nous espérons que la frontière entre nous et la Roumanie sera tracée dans un esprit de justice, en tenant aussi bien compte du caractère national que des intérêts économiques et intellectuels de la population. Cette population est serbe dans la plaine de Banat, que nous réclamons. Elle a une vie nationale très développée et, même sous la do-