La Serbie

à

Les Autrichiens à St-Germain

Bien que ce soit un anachronisme de parler conjointement des représentants de l’AutricheHongrie, les Alliés ont jugé bon de convoquer ensemble les délégués de l’ancienne monarchie, pour leur communiquer le verdict des peuples dont les plénipotentiaires sont rassemblés à Versailles. Cette manière de faire signifie que les Alliés tiennent à ce que les fauteurs de la guerre reçoivent le jugement mérité, tels qu'ils étaient quand ils ont déclenché la guerre et non pas sous les vêtements nouveaux que la défaite et la peur des responsabilités leur ont fait endosser.

Les délégués autrichiens sont déjà désignés. Ils sont arrivés à Saint-Germain-en Laye, cette ancienne résidence des rois de France. Là, entourés des vestiges du passé, ils pourront méditer sur la note à payer qui leur sera présentée. Il paraît toutefois que, pour les délégués hongrois, aucune décision n’a encore été prise. Le travestissement bolchéviste des patriotes magyars empêche les représentants de la Magyarie de paraître dans l'assemblée des peuples. Et pourtant Bela Kun serait infiniment heureux de voir les Alliés consacrer son pouvoir par une invitation à Versailles. Son attitude conciliante envers les ressortissants de l'Entente prouve qu'il se garde bien de provoquer l'hostilité de l'Entente à son égard et à l'égard de son régime.

L'arrivée des délégués de la ci-devant monarchie habsbourgeoise évoque des souvenirs. Elle est le point terminus de l’histoire séculaire et parfois grandiose d'un empire qui s’est effondré sans qu'il ait provoqué le moindre regret chez ceux qui en faisaient partie. Cette disparition de l'Autriche-Hongrie est l’un des plus grands faits de l’histoire moderne; avec elle, cesse d’exister l’organisme le plus hideux qu'on ait conçu dans les temps modernes et dont la vie était basée sur l’oppression et l'exploitation la plus éhontée des peuples. Il sied de ne pas mal parler des morts, mais le cadavre de la double monarchie, lorsqu’il avait encore son âme, nous a causé tant de maux, qu'on ne pourra pas nous reprocher de jeter la dernière pierre contre la pour: riture qui nous à empoisonnés pendant des siècles et qui, par ses exhalaisons venimeuses, nous a empbêchés de sentir les bienfaits du progrès dont, plus heureux, les autres peuples jouissent depuis longtemps. Il faudra encore beaucoup d'efforts et de travail pour effacer les traces de l'influence néfaste de cet Etat qui n'existait que pour faire du mal à autrui. Les jeunes peuples qui ne pouvaient naître à la vie que grâce à la mort de la monarchie des Habsbourg auront à jamais un sentiment de profonde reconnaissance pour les peuples qui se sont jetés dans la fournaise pour sauver leurs peuples-frères de l’horrible étreinte qui se manifestait sous la forme de la pénétration germanique. Des décombres de l'ancienne Autriche est sortie la république autrichienne allemande, qui s’est hâtée de faire disparaître les apparences extérieures de son passé onéreux en chassant le dernier rejeton des Habsbourg. Malgré ce geste, d'aspect fort révolutionnaire, elle n’en a pas moins gardé l’âme de l’ancienne Autriche, âme pitoyable à présent que la force, sur laquelle était bâtie l'existence de celle-ci, lui fait défaut.

eu

Il n'y a pas, en effet, de spectacle plus curieux que celui de la république autrichienne. République malgré elle, elle n’a rien de ce qui caractérise, les ieunes régimes. Elle paraî;-déjà fatiguée et anémiée. Après sa déconfiture, l'Autriche allemande, qui régnait jadis sur de nombreux peuples, témoigne d'une incapacité notoire à se gouverner et à marcher par ses propres moyens. Ce serait une erreur de croire que c'est sa situation économique qui lui rend impossible une vie tolérable. Il lui manque l'esprit de maturité et d'indépendance. Habitué à être gouverné par une caste de fonctionnaires présidée par des dynasties aimées, le peuple autrichien a perdu le goût de l'indépendance. Il cherche un maître. En l'occurence, il cioit l'avoir trouvé dans l'Allemagne et c’est à cêtte disposition d'âme qu'il faut attribuer le væu

des Autrichiens de s'unir à l'Allemagne. Maïen',

y a, là aussi, un calcul bien pesé. L'union añéc l'Allemagne doit lui servir à extorquer quelques bénéfices des Alliés, qui ont l'Allemagne en horreur. Il s'agit donc d’un petit chantage. Plus on criera et plus on demandera l'union avec l'Allemagne, plus il y aura de chances pour que les Alliés soient moins rigides.

Le calcul n'était pas si mauvais, il faut le dire. Les Alliés se sont déjà attendris au sujet de la situation difficile des Autrichiens et ils s'apprêtent à ravitailler l'Autriche, en prenant collectivement les charges de ce ravitaillement. Humainement parlant, nous sommes d’accord qu'il faut sauver de la mort la population affamée. Mais nous devons constater malhèureusement que, par cet acte, les Alliés prennent en quelque sorte bonne note de l’insolvabilité de l'Autriche, ainsi que de son incapacité à réparer les dommages qu'elle nous a causés pendant la guerre. Et, de la sorte, tandis que les grands Alliés se sont assurés, en Allemagne, leur part de réparations, ils nous laissent le soin de nous rattraper sur l'Autriche banqueroutière et affamée, forcée déjà de demander des secours financiers.

M. Renner, qui préside la délégation autrichienne avec un pangermaniste et un chrétiensocial n'aura pas à affronter d'aussi grandes difficultés que son collègue M. BrockdorifRantzau. Les questions territoriales sont déjà résolues par les peuples eux-mêmes, à l’exception de quelques frontières tracées dans fes conditions d’armistice, qui causeront des pèrplexités, non pas à M. Renner, qui naturellement n’a qu'à signer, mais au Conseil des cinq à qui incombe la décision. À ce propos, nous attirons l'attention sur nos frontières de Carinthie. Il s’agit du district de Klagenfurt qui est slave, mais dont le caractère slave a été falsifié par les moyens germaniques connus. Une masse de fonctionnaires et d'immigrés allemands ont quelque peu enlevé à cette contrée son caractère purement slave, mais cela ne justifierait pas les Alliés de céder ce territoire à l'Autriche. Bien que l'Autriche soit en mesure de faire jouer son union avec l’Allemagne et, par ce fait, de rendre nos Alliés soucieux et outre mesure conciliants, il est de notre devoir de dire à nos Alliés que le choix entre nous et les Autrichiens devrait être fait déjà, d'autant plus que nous ne demandons que ce qui est à nous.

D: L. Popovrrcx.

LA SERBIE

_Lundi-19 Mai 1919 — No 21

Les Slovènes et la paix de Saint-Germain

Les conditions de paix telles qu’on se propose de les soumettre à l'Autriche allemande et à la Hongrie sont désastreuses pour les Slovènes et équivalent à une condamnation à mort. Ce n’est pas seulement mon avis petsonnel, mais celui de tous mes compatriotes avec lesquels j'ai eu l’occasion d'en parler, ainsi que sans doute celui de toute la branche slovène «du peuple yougoslave, sans distinction de partis et de provinces. En effet, cette paix livrera presque la moitié des Slovènes à la domination étrangère, italienne, allemande et magyare.

Regardons. les faits : Les Slovènes sont au nombre d'environ 1,400,000, dont à peu près 900,000 en Carniole et en Styrie, 120,000 en Carinthie, 280,000 à Goritza, Trieste et en Istrie, 100,000 en Hongrie occidentale (Prekomurie) et, enfin, 40,000 dans le district Cividale en Italie.

De ce nombre, l'Italie recevrait non seulement ce que lui donne le pacte de Londres (380,000 Slovènes), mais on lui accorderaïit encore un supplément. Elle reçoit la voie ferrée qui conduit de Beliak (Villach) — par Trbiè (Tarvis), Jesenice (Assling), Bled (Veldes), Bohinj, Goritza — à Trieste. Ainsi elle

‘annexera fes belles vallées slovènes de Zila

et de Zilica, en Carinthie occidentale, patrie d'un des plus fervents propagateurs du yougoslavisme, Matija Majar; en plus, la contrée purement slovène, au nord de Beljak; une partie de la Carniole nord-occidéntale, avec Bled, Bohini, Jesenice, qui sont les joyeux de la Carniole et où naquirent les plus grands poètes et artistes nationaux. Toute cette Bartie de la Slovénie, qui n'a pas été prévue dans;le pacte de Londres, ne compte peut-être pas même une douzaine d’Italiens, mais bien plus

de 100,000 Slovènes. En somme, l'Italie arra-

che 500,000 Slovènes au Royaume des Serbes, Croates et Slovènes.

Mais il y a un fait encore plus étonnant. Le pacte de St-Germain s'apprête d'éliminer complètement l'élément slovène de la Carinthie, qui a été le berceau de notre indépendance, qui fut, autour de 1860, le centre de notre culture, où notre peuple a combattu pendant des siècles avec une énergie indomptable contre la germanisation, et qui est pour nous ce qu'est pour nos frères serbes le.champ de Kossovo. Après avoir attribué à l'Italie la moitié occidentale de Ja Carinthie slovène, on a l'intention d’en céder la partie orientale à l'Autriche allemande. On parle, il est vrai, d'un plébiscite dans la contrée de Célovec, mais nous pouvons nous imaginer ce que sera ce plébiscite, si son exécution est confiée à l'Autriche allemande ou à l'Italie, surtout maintenant que tous les intellectuels slovènes ont été chassés hors du pays *.

Ainsi toute notre lutte aura été vaine, notre résistance contre la poussée pangermanique vers l’Adriatique, illusoire. La paix de SaintGermain va nous chasser de la Carinthie, qui fut une fois un pays exclusivement slovène. Les Allemands ne seront plus éloignés que de 80 kilomètres de Trieste.

* Pourquoi ne nous accorde-t-on pas le plébiscite ailleurs aussi comme nous l'avons demandé, p. ex. dans les pays cédés à l'Italie ?

Ce qui va advenir de la Styrie slovène, nous ne le Savons pas encore; mais, après tous ces précédents, nous devons nous préparer à une déception.

"S'il est vrai que le Conseil des Dix a approuvé en entier les propositions de la Commission pour les affaires yougoslaves, nous perdrons enfin le territoire purement slovène de Prekomurie, en Hongrie, qui n'est que la prolongation de la Styrie slovène et qui à son centre économique à Radgona (Radkersburg), en Styrie..

Ainsi nous devrions laisser 500,000 Slovènes à l'Italie, 80,000 ** à l'Autriche allemande, 100,000 aux Magyars, c’est-à-dire 680,000; le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes n'en recevrait que 700,000. Les chiffres parlent éloquemment.

L'etfervescence en Slovénie sera énorme quand on aura appris le sort qu'à Paris on à préparé aux Slovènes. Aussi ne faudra-t-il pas s'étonner si ce peuple travailleur et paisible, qui devrait être l'un des éléments les plus solides de la, Yougoslavie, est poussé vers l’extrêéme-gauche par l'injustice qu’on lui fait et par son désespoir. Le sort de l’Allemagne pourrait faire envie aux Slovènes.

Vladislav FABJANCIC.

Isolement de l'Italie

Le traité de paix consacrant l'alliance plus ou moins formelle entre l’Amérique, la France et la Grande-Bretagne, a produit, en Italie, une des plus pénibles impressions. Les organes principaux de l'opinion publique italienne, le Corriere della Sera et le Secolo ne se dissimulent pas la gravité de l'échec de la politique sonninienne, et le ton véhément de leurs attaques contre la France et ses nouvelles alliées doit être bien sincère. L'événement est cependant d’une importance capitale

‘pour l'avenir des Balkans. L'Italie ne s’est ‘pas montrée à la hauteur de sa tâche, et

il n'est que trop naturel de la voir reléguer au second plan. Pratiquement, elle

st exclue de la direction suprême de la

politique mondiale, parce que ni sa puissance matérielle, ni l'idéologie de ses gouvernants ne pouvaient lui assurer la place à laquelle elle aspirait. On cherche à couvrir cette défaite diplomatique italienne par quelque raccomodage, maïs ce sera parfaitement inütile. L'Italie est consignée là où est sa véritable place. Pour se relever, il lui faut amener au pouvoir d'autres hommes. Sonnino et Orlando ont fait naufrage avec leur politique impérialiste, et il ne leur reste qu’à se retirer au plus vite. De nouvelles élections seront également nécessaires pour purifier l’atmosphère étouffante créée par une politique incompatible avec les vrais intérêts du peuple italien.

Pour le moment, nous ne dirons rien de plus, dans l’attente que les éléments sains italiens reprennent le dessus chez notre voisine occidentale.

* Je ne parle que des Slovènes qui habitent en masse compacte, car il y en a hors du territoire national, 40,000 à Grute, d’autres à Léoben et ailleurs encore.

FEUILLETON

La question de la Dalmatie ‘

Le problème de la Dalmatie n’est pas du tout un problème complexe et difficile. Il n’y a pas de question politique plus simple que celle de la Dalmatie. La Dalmatie est un pays serbo-croate n'ayant pas plus de 3% d'Italiens ou d’italianisants parmi ses habitants. La disproportion entre les 630.000 Slaves et les 18.000 Italiens est tellement énorme qu'aucun homme sérieux ne pourrait mettre en doute le caractère purement et exclusivement slave de cette province adriatique. Si l'Italie réclame une partie de la Dalmatie, elle revendique donc un pays étranger à l'Italie. La délégation italienne à la Conférence de la Paix s’en est bien rendu compte lors de la rédaction du mémoire sur les revendications de l'Italie, comme il ressort clairement des arguments employés à l'appui de ces revendications, arguments purement stratégiques et géographiques. Mais, en Italie, la foule déchaînée, conduite par deux toréadors illustres, d'Annunzio et Sem Benelli, pousse des cris pathétiques et demande le retour de la Dalmatie à la mère Italie !

On est en train de jouer là l’une des plus odieuses comédies de l’histoire d’un peuple. On réclame la Dalmatie comme terre ifalienne, on veut délivrer les Dalmates et les réunir à leur patrie! Lt le pauvre Dopulus romanus, ignorant et avili par une propagande déloyale, se laisse entraîner à croire sérieusement au bien-fondé des prétentions

italiennes.

Le Spectacle bouffon de la comédie qui se joue actuellement en Italie nous à paru plus grotesque encore à la lecture du livre si instructif et si éloquent de Dalmaticus, sur la question de la Dalmatie. A côté de

1 Dulmaticus : La question de la Dalmatie. (Genève 1918, Librairie Georg et Co).

l'ouvrage magistral de M.'L. de Voïnovitch, c’est une étude remarquable à d’autres égards, ce livre de Dalmaticus, qui, avec une logique impeccable, démolit un à un tous les arguments italiens. Les arguments géographiques, historiques, ethniques et politiques, stratégiques et économiques, tout cet amas de raisons fictives ou façonnées est réduit à zéro par l'exposé tranquille et serein du publiciste dalmate, qui connaît admirablement son sujet. Il y a dans le livre de Dalmaticus une foule de détails qui jettent aussi plus de lumière sur le véritable caractère des prétentions italiennes.

Pour la question de Fiume, Dalmaticus cite les paroles d’un Italien : «On ne crée pas des ports comme on fait des fromages. On connaît des crises de surproduction textile, mais on ne connaît pas de crise de surproduction des ports. Trieste a son hinterland, Fiume a le sien et Venise a le sien.» (Mario Alberti: Trieste, Turin, 1915, page 26.)

Bien intéressante encore est une constatation de M. Sonnino, que l'honorable chef actuel de la politique étrangère de l'Italie voudrait oublier aujourd’hui. Dans la Rassegna settimanale du 10 août 1879, M. Sidney Sonnino écrivait à propos de la questions de Tunis : «Si elles réussissent dans leur intention (c'est-à-dire si l'Angleterre et la France arrivent à s'accorder sur le partage de la Méditerranée), la mer qui a coutume de procurer aux peuples qui ont la fortune d'en être entourés une respiration plus libre que ne le font les lignes rigides des frontières terrestres, la mer aui laisse la liberté à leurs mouvements et leur ouvre le chemin de la richesse, de l'influence et de la puissance, deviendra pour l'Italie comme le mur d’une prison. »

Or, si la possession de Tunis de la part d’une autre puissance pouvait signifier pour l'Italie l'érection d'un mur, d’une prison, quelle signification pourrait avoir pour Ja Serbie et pour le Royaume serbocroato-slovène la cession de la Dalmatie à des mains étrangères.

Nous recommandons tout particulièrement ce livre si éloquent à tous les hommes politiques et politisants.

Les questions du sud-est européen ‘

Au mois de septembre 1918, au moment où le mauvais rêve de l'hégémonie bulgare s’écroulait dans les Balkans, M. Wendel terminait son dernier ouvrage, dont le titre est mentionné ci-dessus. Ecrit avant la capitulation bulgare et avant l'armistice avec l'Allemagne, ce livre conserve néanmoins toute

son actualité. M. Wendel possède une connaissance particulière

des affaires balkaniques et son opinion mérite l'attention Spéciale de ceux-mêmes qui n’approuveraient pas toutes les conclusions de l’auteur. z

Le livre de M. Wendel se compose de quatre chapitres bien distincts, consacrés à quatre problèmes différents de la question balkanique. Le premier chapitre a trait à la renaissance sudslave. Il prouve, sur la base des éléments historiques, littéraires et psychologiques, que l'union de notre nation n’est pas le résultat fortuit de la victoire des armées alliées, mais bien le couronnement d’une évolution progressive que rien ne pouvait arrêter. Le second chapitre a pour objet la question du Monténégro. L'exposé très intéressant de M. Wendel possède, à côté de son intérêt historique rétrospectif, une valeur pratique, car, malgré l'union spontanée et unanime du peuple serbe du Monténégro avec la Serbie, des intrigues italiennes sont en Œuvre pour maintenir la fiction d’un Monténégro gouverné par l'ex-roi Nicolas. Le troisième chapitre s'occupe du problème albanais, et il mérite également de retenir l'attention de ceux qui doivent régler le sort de l’Albanie. Enfin, dans le quatrième chapitre intitulé le « Sphinx macédonien », M. Wendel a essayé de présenter la question macédonienne sous um jour nouveau, c'est-à-dire comme celle d’un pays qui a à surmonter

1 Südost-europäische Faagen.

V a u (S. Fischer Verlag, Berlin, 1918).- on Herman Wendel, Mitglied des Reichstages