La Serbie

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Lundi 19 Mai 1919 — No 21

LA SERBIE

La Serbie et l'Europe (1914-1918) ‘

Le présent livre est un essai modeste d’exposer dans son ensemble la politique de la Serbie pendant la guerre. Il ne s’agit pas d’une étude proprement dite sur la politique serbe, mais simplement d’un recueil d'articles publiés dans le journal La Serbie depuis 1916 jusqu’en 1919, jusqu'au moment de la réunion de la Conférence. Un recueil bien restreint en somme, mais qui donne un aperçu de l'idéal qui nous a guidés dans notre lutte nationale. C’est une histoire politique de la Serbie en miniature que l’on retrouve dans ces articles, histoire utile à connaître précisément à l’heure où la Conférence de la Paix est en train de décider du sort de notre nation.

Comme les lecteurs auront l’occasion de s’en apercevoir, la diversité des collaborateurs n'a pas enlevé au livre le caractère d’un tout

organique, ce qui constitue une preuve de plus

de l'unité et de la droiture de notre politique. Un trait essentiel caractérise, en effet, toute l'attitude du peuple serbe avant et pendant le conflit mondial, et ce trait c'est la vision claire du danger germanique et la détermination ferme et inébranlable de la Serbie de lui résister à tout prix et de sacrifier tout à la défense de son indépendance politique et économique. L'Europe n'avait pas saisi la politique serbe, et lorsqu'elle montrait, à des moments exceptionnels, plus de compréhension pour nos affaires, elle le faisait à contre-cœur et avec un dépit manifeste. L'erreur commise par la diplomatie européenne ne concernait pas pré-

_ cisément l'existence d’un danger germanique

— on s’en apercevait bien à Paris, à Londres et à Pétrograd — mais plutôt l'estimation de l'effort germanique en Orient. Les deux expansions parallèles allemandes, l'une pacifique, sous la forme de pénétration économique, l’autre agressive et arrogante, avaient pris depuis longtemps la direction de l'Orient, mais ce fait capital n'avait pas été jugé comme il convenait par la diplomatie alliée. Malgré les expériences des guerres balkaniques, on continuait à négliger les Balkans et l’on se prêtait au jeu de Ferdinand de Cobourg et de ses serviteurs dociles. La diplomatie ententiste n’a pas su discerner entre amis et ennemis, négligeant ainsi un élément important du problème oriental et laissant les choses prendre une tournure plutôt tragique. Le désastre serbe de 1915 aurait été évité si l'Entente avait encouragé la Roumanie et la Grèce à demeurer sur le terrain du traité de Bucarest de 1913, au lieu de les inciter à s'entendre avec les Bulgares et à se désintéresser ainsi peu à peu du problème Bucarest en 1913.

Nous n'avons pas manqué de juger sévère-

* ment, dans notre journal, la politique antibal-

kanique de la Roumanie et celle du roi Constantin de Grèce, mais on serait injuste si l’on ne rappelait pas qu'une grande part de culpabilité retombe aussi sur J'Entente et sur ses illusions bulgarophiles. Il faut espérer que les erreurs du passé serviront d'enseignement non seulement aux peuples balkaniques, mais aussi et surtout aux puissances démocratiques occidentales.

(1) La Serbie et l'Europe (1914-1918). - Exposé de la politique serbe. Préface du Dr Lazare Marcovitch, professeur à l'Université de Belgraue (Genève-Lyon 1919, Librairie Georg et Co.

Après avoir exposé la politique serbe proprement dite, ce livre s'occupe, chapitre II, de

l'Union serbo-croate-slovène, inscrite comme

programme à toutes les pages de l’histoire du Royaume de Serbie, En connexion immédiate avec l’unon sudslave, nous avons retracé, dans le chapitre IIT, notre lutte contre l’AutricheHongrie, lutte menée principalement dans le but d'orienter l'opinion publique alliée, intectée d'une austrophilie extraordinaire. Toutes nos prévisions sur l’Autriche-Hongrie se sont réalisées et tous nos jugements sur le sort de la Monarchie ont été confirmés par les événements. à

Quant à nos rapports avec la Bulgarie, ils sont traités dans le chapitre IV avec toute l'ampleur qu'ils méritent. Nous avons tenu à éclairer l'Europe sur les vrais mobiles de la politique bulgare et nous croyons y avoir réussi. En tout cas, les documents que nous fournissons à l’appui de nos affirmations méritent de retenir l'attention particulière de tous les bulgarophiles de bonne foi.

Le chapitre suivant est consacré à la question des rapports italo-serbes. La modération et l'esprit de conciliation dont nous avons toujours été inspirés à l'égard de l'Italie, malgré les erreurs et les faux calculs de la diplomatie italienne, se dégagent de la lecture de tous nos articles. Nous avons cru trouver en l'Italie une amie et une alliée; nous voyions en l'Italie [a patrie de Mazzini. Et voici que nous sommes obligés de constater, après quatre années de tentatives infructueuses, que l'Italie ne fait que suivre la même politique triplicienne pratiquée auparavant en compagnie de l'Autriche et continuée maintenant sans l'Autriche, C'est le point le plus noir à l'horizon sudslave, cette tentative italienne de compromettre notre avenir, en s’annexant de larges territoires de notre sol national.

Les chapitres VI à X sont consacrés à l’Allemagne, à la Russie, à la Roumanie et à la Grèce, et enfin aux souffrances de notre peuple sous les régimes étrangers. Notre point de vue dans toutes ces questions se trouve en accord parfait avec les lignes directrices de la politique serbe. L'Europe n’a pas suffisamment apprécié cette fermeté serbe, qui constitue pourtant un exemple merveilleux de la sagesse et de l'intelligence des hommes d'Etat serbes qui ont conduit la Serbie dans toutes les péripéties par lesquelles elle a dû passer avant de réaliser son programme national, l'union de tous les Serbes, Croates et Slovènes en un royaume indépendant, sous les Karageorgévitch. L'union sudslave est un fait politique de premier ordre. Mais il ne faut pas penser que nous ne nous apercevons pas des nombreuses difficultés qui entraveront longtemps encore le libre développement de nos forces nationales. La tâche principale de notre peuple se trouve dans le domaine intérieur. L'organisation politique, économique et sociale de notre Etat nationalement uni est une œuvre formidable qui appelle le concours de toutes les intelligences et de toutes les initiatives. Une grande épreuve est encore réservée à notre héroïque nation. Il faut espérer qu'elle sera surmontée et que le peuple, après tant de souffrances physiques et morales, trouvera enfin du repos pour s’adonner au travail pacifique et à sa culture. Notre plus grand souci, à l'heure actuelle, est celui d’une vie coordonnée à l’intérieur. Si nous sommes consolidés à l’intérieur, nous sau-

rons et nous pourrons affronter tous les dangers et toutes les iniustices de l'extérieur. Nos ennemis guettent, attendant de notre désorganisation intérieure des profits pour la réalisa-

tion de leurs buts impérialistes. La haute cons-

cience nationale dont notre peuple a donné tant de preuves admirables, pourra surmonter, nous en sommes convaincus, toutes ces difficultés et le conduira vers un avenir heureux et gloTieux. Paris, mars 1919. Dr L. MarcovircH.

La tactique bulgare

Contrairement à ce qu'on attendait, les Buigares ne suivent pas en toutes circoistances l'exemple allemand. Dans certaines questions de tactique, ils ont adopté, en eïfet, une attitude un peu différente de celle des Aïlemands, mais qui correspond très bien à leur caractère. Tandis que les Allemands essayent par des ““enaces plus ou moins déguisées d'éviter ies sanctions et les punitions qui les attendent, les Bulgares, eux, ne se gênent pas de chanter :es Jouanges des Alliés et de faire appel à leur générosité. S'ils étaient sincères et s’ils se repentaient réellement de tous les crimes adieux commis en Serbie, on pourrait avoir quelque indulgence pour eux, mais tel n’est pas le cas. La presse bulgare regorge d’articles haineux contre la Serbie, et les agents bulgares déploient une activité fiévreuse pour assurer à la Bulgarie une paix qui lui permettrait de répéter son agression contre la Serbie. Entre temps, le gouvernement bulgare joue au plus malin. Voici ce que le ministre-président bulgare, M. Theodoroff, déclarait cyniquement l’autre jour, dans le Sobranié, en réponse à une question posée :

«Notre peuple doit avoir confiance, car sa cause est juste et sacrée, et les juges qui vont fixer ses futures conditions de vie, ne sont pas nos voisins qui désirent s'approprier nos terres et nous empêcher de prospérer, mais bien les grandes nations de la terre, en l'esprit de justice desquelles nous avons foi et dont la générosité et l'impartialité nous sont bien connues. « Nous avons pleine confiance dans leur esprit de justice et d'humanité, et dans le jugement équitable qu’elles prononceront. La justice finira par triompher : il n’en peut pas être autrement avec les grands juges impartiaux qui siègent aujourd'hui pour fixer les destinées des peuples. »

Dans la période de 1914 à 1918, le peuple bulgare croyait en la grande nation allemande et en son esprit de justice; en 1919, c’est dans les puissances antigermaniques, dans leur générosité et leur impartialité qu'il met son espoir. Voilà en quoi consiste la malice de Baïa Gangné !

Sem Benelli et les ,Éleveurs de bétail” serbes

Sem Benelli n’est pas un inconnu pour nous. Un de nos plus grands artistes du Théâtre National de Belgrade, un fils de la Dalmatie, Routsovitch, a traduit en serbe le célèbre drame de Benelli « La Cena delle beffe ». Ce chef-d'œuvre de l’art dramatique italien fut ioué au Théâtre National de Belgrade avec un grand succès, Aussi, le public serbe apprendra-t-il avec surprise le rôle peu glorieux qu'a assumé actuellement le poète italien de calom-

nier les Slaves. Jaloux des succès à bon marché de son collègue et rival d’Annunzio, Sem Benelli s’est.

s

mis à l'imiter. Dans une lettre adressée aux Américains et publiée par le New-York Herald (édition de Paris du 25 avril), le poète déverse un flot d'injures sur les « peuples barbares » de Yougoslavie, sur ces misérables « marchands de fruits» et « éleveurs de bétail ».

Il serait tout à fait inutile de réagir contre cette prose si peu digne du talent remarquable du poète. Nous enregistrons simplement le fait comme une preuve nouvelle de l’état maladif qui règne en Italie et qui abaisse la patrie de Mazzini à un niveau jusqu'ici inconnu.

Lettres non publiées V

; Paris, 8 avril 1919. Monsieur le Directeur de la Presse, 144, rue Montmartre.

Monsieur le Directeur, À

Dans le numéro du 6 avril de votre estimé journal, votre chroniqueur politique Alceste a émis, en parlant des Serbes, Croates et Slovènes, des opinions qui peuvent être intéressantes, mais qui présentent notre nation sous un faux jour. Que la diversité des noms n'enlève pas à un peuple son unité ethnique, il y a là une vérité qu'il n’est pas nécessaire de souligner. Or, je puis assurer à votre honorable collaborateur que notre peuple, tout en portant des noms qui pourront paraître étranges aux oreilles françaises, n’en constitue pas moins une nation bien consciente de son rôle et de ses droits. Loin d’avoir des appétits atroces, notre peuple est plutôt obligé de se défendre contre de tels appétits, manifestés par ses voisins occidentaux.

Un autre fait qui a échappé à votre collaborateur, et qui est pourtant d'une importance capitale pour la compréhension des affaires d'Orient, c’est que le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, malgré des circonstances extérieures défavorables, est le pays le plus calme et le plus stabilisé de l’Europe du Sud. C’est ce calme qui déplaît à l'Italie, et nous le comprenons à la rigueur. Mais, excusez-moi de vous poser cette question : Quel intérêt pourrait avoir le public français à se représenter notre pays dans un état chaotique, alors qu’en réalité cet Etat est le plus stabilisé de tous ses voisins, sans en excepter même l'Italie ?

En vous priant de bien vouloir faire usage de ces quelques observations, je vous présente, très honoré Monsieur, l'expression de mes sentiments les plus distingués.

Dr L. MarcovircH.

Nous informons nos amis et lecteurs que les bureaux de la rédaction resteront ouverts pendant quelque temps encore et que, durant cette période, M. Malicha Taditcb, notre rédacteur, sera chargé de diriger et de liquider les affaires de rédaction, ainsi que de transmettre à la presse suisse les télégrammes du Bureau de presse de Belgrade.

LA RÉDACTION

non pas des difficultés nationales, mais bien des difficultés d'ordre économique et social.

Dans le domaine politique, M. Wendel se prononce résolument en faveur d’une entente serbo-bulgare appelée, selon lui, à résoudre radicalement et pour toujours la question balkanique. Il est fort douteux que cette manière de voir trouve des partisans parmi les Serbes. Ce que nous désirons, c'est que l'Europe enseigne aux Bulgares les notions élémentair®s de la morale internationale et qu'elle fasse de la Bulgarie #1 pays Supportable pour ses voisins. Nous ne désirons aucune coimurnauté avec les Bulgares, qui représentent un peuple-type à eux. Il y a assez de place dans les Balkans à la fois pour des Slaves authentiques et pour ceux qui ne le sont pas. L'essentiel, c’est que chacun reste chez soi et qu’il ne cherche pas à pénétrer chez ses voisins. Voilà en quoi consiste tout le problème bulgare. Nous ne sous-estimons les raisons idéales qui ont conduit M. Wendel à formuler ses conclusions en faveur d'une entente serbo-bulgare, mais nous pouvons l’assurer qu’une telle entente est actuellement, et pour une longue série d'années, psychologiquement impossible. R.

Les calomnies d’un ancien diplomate serbe

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Un livre incroyable vient de paraître chez Orell-Füssli, à Zurich, sous le titre : Les causes de la guerre (Kriegsursachen. — Beitrige zur Erforschung der Ursachen des europäischen Krieges mit spezieller Berücksichtigung Russlands und Serbiens. — Prix 3 fr, 50), écrit par le docteur M. Boghitchévitch, ancien chargé d'affaires serbe à Berlin. L'auteur de ce livre fut, en effet, grâce à ses relations de famille, le chargé d'affaires de Serbie à Berlin pendant cinq ans, mais nous nous dispenserons pour le moment de parler de ses capacités politiques

ou des causes spéciales de son éloignement du service diplomatique. C’est une affaire qui sera réglée en Serbie par la voie légale. Cependant, nous devons dire que nous n'aurions jamais cru ce «diplomate » capable d'écire des calomnies aussi grossières contre son pays, calomnies vulgaires et puisées dans la presse jaune-noire de Vienne, de Budapest et de Berlin. L'ancien diplomate s'acharne tout particulièrement sur notre dynastie et sur le parti radical et son chef, M. Pachitch. Il défend, d'autre part, l'Autriche et l'Allemagne d’avoir voulu provoquer la guerre. Parlant de la crise de l'annexion, M. Boghitchévitch estime que c'est la Russie et la Serbie qui ont provoqué la crise et non pas l'Autriche, qui, d’après lui, n'aurait rien fait contre la paix, en annexant les deux provinces serbes. L'alliance serbo-bulgare de 1912 est également blâmée par ce diplomate, qui la trouve préjudiciable aux intérêts de l'Allemagne, et il se vante même de s’en être ouvert à son ami allemand, feu Kiderlen-Wächter, ancien secrétaire d'Etat aux affaires étrangères. Quant à la guerre européenne, M. Boghitchévitch est d'avis que c’est la Serbie, appuyée par la Russie, qui l'a provoquée. Il approuve également l’ultimatum autrichien et tout ce qui en résulta ! | Nous avons tenu à signaler cette publication qui devait paraître après la victoire germanique pour justifier l'asservissement de notre peuple. Malheureusement pour ce « diplomate » déchu qui se promène à Montreux, n'osant pas rentrer en Serbie, des documents allemands et autrichiens sont venus Confirmer, non pas la préméditation serbe, mais bien la préméditation austro-allemande. Les calomnies d'un rénégat serbe n'ébranleront pas le jugement du monde entier, qui est fixé depuis longtemps. Et remarquez encore que derrière les affirmations de M. Boghitchévitch ne se dresse plus la puissante Germanie pour les imposer aû monde comme une vérité his-

torique. Or, c'est sur elle que notre diplomate semble avoir

fondé ses espoirs, en écrivant ce livre, publié avec six mois de retard. R.

Ouvrages du D' Reiss sur les atrocités allemandes, autrichiennes et bulgares.

Les infractions aux lois et conventions de la guerre commises par les ennemis de la Serbie depuis la retraite serbe en 1915. — Paris, Bernard Grasset, 1918.

Les infractions aux règles et lois de la guerre. — Payot & Co, Lausanne-Paris, 1918. (Tlustré, traduit en anglais.)

Rapport sur la situation des Macédoniens et des Musulmans dans les nouvelles provinces grecques. — Paris, Plon-Nourrit & Co, 1918.

Réquisitoire contre la Bulgarie, par le professeur R.-A, Reiss et A. Bonnassieux. — Paris, Bernard Grasset, 1919.

Le traitement des prisonniers et des blessés par les Germano-Bulgares. — Paris, Bernard Grasset, 1919.

Sourdoulitza, rapport présenté au G. Q. G. de l'armée serbe. — Paris, Bernard Grasset, 1919.

Rapport sur les atrocités commises par Les troupes austro-hongroises pendant la première invasion de la Serbie (llustré, traduit en anglais). — Paris, Bernard Grasset, 1919. É

Réponse aux accusations austro-hongroises contre les Serbes contenues dans les recueils de témoignages concernant les actes de violation du droit des gens commis par les Etats en guerre avec l'Autriche-Hongrie, — Lausanne-Paris, Payot & Cie, 1918.

Les Austro-Hongrois en Serbie envahie. Rapport présenté à M. le Président du Conseil des Ministres du Royaume de Serbie, — Imprimerie Yougoslave, Paris, 1919.

Bulgares et Turcs contre les Grecs. Rapport présenté à M. Vénizélos. — Paris, Bernard Grasset, 1919,

Les Austro-Bulgaro-Allemands en Serbie envahie. Documents de l’ennemi (Un album illustré). — Paris, Bernard Grasset, 1919,