Le mouvement des idées : sur une histoire de la Révolution

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LE MOUVEMENT DES IDÉES 527

M. Kropotkine ne nous le dit pas; mais nous sentons bien que cette nation ne suivra jamais ses vœux Jusqu'à leur entière réalisation, — peut-être bien parce

que ce qu'il désire n’est pas de ce monde. Il termine en

nous montrant les mots « Liberté, Egalité, Fraternité, luisant comme un phare vers lequel nous marchons »; — et ceux qui ne possèdent pas son ardente foi, instruits par le spectacle des choses, savent bien que ce phare est un mirage, et que ces mots magiques finissent toujours par s’effacer dans la nuit. Ils sont du reste antinomiques et inconciliables. On a souvent démontré que l'Égalité ne pourrait s'établir qu’au prix du sacrifice définitif de la Liberté. Quant à la Fraternité, nous savons dès longtemps ce qu’il en faut penser. Du reste, M. Kropotkine lui-même semble reconnaître que la Révolution, telle qu’il la conçoit et la souhaite, ne pourra jamais aboutir que par l’écrasement complet de l'élément bourgeois : « Désormais, dit-il expressément, il n'y aura plus une révolution sérieuse possible, si elle n’aboutit pas à son 31 mai [la chute des Girondins]. Ou bien la révolution aura sa journée où les prolétaires se sépareront des révolutionnaires bourgeois, pour marcher là où ceux-ci ne pourront les suivre sans cesser d’être bourgeois; ou bien cette séparation ne se fera pas, et alors ce ne sera pas une révolution ». (P. 502-503.) Et quand les prolétaires se séparent des bourgeois, les suites du 31 mai nous montrent ce qu’ils en font.

En vérité, les révolutions sont les batailles de la séculaire et interminable « guerre des classes » : seul, le triomphe absolu de la classe pauvre pourrait amener le résultat absolu qu'appellent les vœux de M. Kropotkine. Et sans doute, de même que nous avons vu une aristocratie républicaine, bourgeoise et propriétaire succéder à l'aristocratie féodale et nobiliaire, nous verrions bientôt, quelle que soit la forme donnée à la pro-