Les Cahiers des curés : étude historique d'après les brochures, les cahiers imprimés et les procès-verbaux manuscrits

84 . LES CAHIERS DES CURÉS

Turgot, qui fut la philosophie au pouvoir, — où elle ne fit que passer et d’où l'influence jésuitique la chassa pour le malheur de la monarchie, — Turgot professait ces deux vérités éclalantes, que quelques-uns réputent encore radicales de nos jours (1) :

« Si l’on n’enseignaitaux enfants que des vérités, si on ne leur parlait que de ce qu'ils peuvent enteudre, il n'y aurait presque plus d’esprits faux. »

Donc, l'instruction laïque.

« La religion ne doit pas plus être l'objet des lois que la manière de s'habiller ou de se nourrir. »

Done, séparation de l'Église et de l’État.

Sur Le premier point, Turgot poussait la logique à fond ; il voulait l'éducation du peuple tout à fait séparée des opinions religieuses et des cérémonies du culte ; car, disait-il, « la morale n'a été corrompue que par son mélange avec la religion ».

Mais, sur le second point, l'homme d'État retenait le philosophe dans l'application immédiate de ses idées.

Le philosophe n’admettait pas de religion dominante: il refusait à toute religion « d'autre protection que la liberté, » déniait absolument à l'État la faculté tyrannique de prescrire un dogme, de contraindre une seule conscience. L'homme d'État prenait peur de l'irreligion remplaçant tout à coup les pratiques superstilieuses au sein de populations ignorantes, assez sauvages encore pour croire aux sorciers, à défaut de curés, et ne pas cesser d'être fanatiques en cessant d'être catholiques.

C'est pourquoi Turgot jugeait indispensable un sacerdoce prèchant dans les villages « des dogmes raisonnables, donnant aux paysans l'exemple de la probité, » mettant sous les veux du peuple « l'abrégé de ses devoirs, »

(1) Voir sa Vie, par Condorcet, 1786.