Lettres sur la révolution française : par J. Gorani, citoyen français, à son ami Ch. Pougens

82 RÉVOLUTION vous font les effets d’une eftime fentie. Ce: font ces fentimens qui me font un befoin de vous rendre le triple fervice de vous porter fecours par mes confeils , & de vous éclairer fur vos défauts, avec autant de juitice & de franchife, que j'en employerai à prouver les bonnes qualités de votre efprit & de votre cœur. Je fais que vous n'avez recu fire, aucune éducation, & je vous en félicite, parce que dans les états he l’éducation des princes deflinés au trône, n’eft jamais confiée qu’à des nobles & à des prêtres ir téreflés à corrompre l’efprit & le cœur de leurs élèves, ‘en leur inculquant des erreurs favorables à leur ambition, en leur faifant contrafter des goûts & des habitudes vicieufes dont ils fe promettent d’abufer, & en leur laiffant ignorer tout ce qu’ils devroient favoir. Cette privation d’inftruétion dans votre majefté, n’a pas fufi pour tranquillifer la reine, vos courtifans & vos miniftres fur les inquiétudes que leur caufoient votre excellente judiciaire 6c votre amour pour la juftice; pour vous éloigner encore davantage des affaires, & pour gouverner en votre nom, ils fe font efforcés d’affoupir vos bonnes qualités en vous donnant la malheureufe paffion de la chaffe & de la pêche, qui vous font perdre les neuf dixièmes de votre temps, Malgré ces défauts & votre inexpérience dans la fcience du gouvernement, vous êtes un génie, fire, en comparaifon de votre frère d'Efpagne; vous avez infiniment plus d'efprit que votre gendre de Vienne; vous n’avez ni Vobftination, ni le goût du fafte & de la fauffe grandeur de votre confrère de Turin ; & vous avez une qualité rare dans les princes ; c’eft qu’au lieu d'être prévenu en votre faveur, vous vous méfiez conftamment