Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

CONSTITUANTE. 89

Mais un grand combat était engagé entre l’ancien régime et le nouveau. D'un côté étaient la cour et les privilégiés , et de l'autre la nation , chacun des deux reprochant à l’autre les efforts qu’il faisait pour remporter la victoire : la cour , adroite dans ses intrigues, les nobles, violens‘ dans leurs mouvemens ; le clergé, perfide dans ses insinuations, les privilégiés déclaMant contre les nouvelles lois, invoquaient le ciel qu'ils disaient outragé, le trône qu’ils disaient avili, l’antiquité des abus qu’ils appelaient la majesté des lois. Le peuple, exalté dans ses passions, pénétrant dans ses conjectures , brusque dansses Mmouvemens, prompt et quelquefois cruel dans ses vengeances, employait les moyens qui sent au pouvoir de ja multitude. Chacun se servait des armes qui lui étaient propres.

Cependant la face du combat était changée depuis un an ; et, au lieu que les privilégiés étaient alors sur la défensive , ils étaient maintenant assaillans. Dans ce nouveau genre de guerre ils avaient l'avantage des richesses ; d’un reste de grandeur, d’une longue habitude de l'intrigue, la facilité d'étendre leurs ressources dans toutes les cours de l'Europe , et cette espèce de supériorité propre à celui qui attaque et dont les desseins sont cachés. Le peuple avait sa masse de résistance contre laquelle tout se brisait, ses brusques insurrections qui déconcertaient les complots prêts à éclore, et la majorité de l’assemblée nationale qui dérangeait tout par un décret.

On peut juger, par la résistance que faisaient les privilégiés, de immense pouvoir qu’ils avaient en France. Une coalition de deux cents mille hommes en arrêtait vingt-six millions , et la volonté générale était tenue en suspens par les intérêts particuliers, Dans l’armée, ils avaient presque tous les officiers " dont le privilége était ci-devant de commander à la roture ; dans l’église, le plus grand nombre des curés, imprégnés de l'esprit de corps et soumis à leurs évêques nobles; dans la finance, ceux qui prenaient à bail les revenus de l’état, et la multitude de leurs créatures; dans les places de guerre, ceux qui avaient Je commandement; dans plusieurs villes de commerce, les riches, dont la fortune leur permettait autrefois de singer les grands qui daignaient les admettre ayeceux ; dans la robe, presque tous ceux qui avaient été remboursés, danstout le royaume, ceux dont les places ou le caractère les portaient à mépriser le peuple (1). Chacun d’eux tâchait de gagner à SOn parti ceux des citoyens sur lesquels son crédit ou les divers préjugés pouvaient lui donner quelque influence. en

(x) Les étrangers demandent souvent ce qu’on entend en France par aristocrates : ce sont les hommes que je viens de citer. Lie

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