Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

CONSTITUANTE. 93

l'avantage présent et futur d'empêcher la France de s'élever à de plus heureuses destinées: car c’est une fausse politique

‘ des cabinets modernes, toujours en guerre entre eux, de ne se croire puissans qu’autant que les autres peuples sont faibles: le mal d'autrui fait leur bien, Nos ambassadeurs aidaient à cette intrigue : l’or de la France, qui les payaït toujours avec grandeur, servait à lui préparer la guerre. Les princes et les pensionnés fugitifs étaient payés avec régularité, et ils rece_ vaient plusieurs millions.

Le vertige féodal avait Passé dans la plupart des têtes nobles de l'Europe ; et cette maladie française était plus réelle et plus contagieuse que le mal démocratique dont on accusait la nation. Les livres et les journaux des deux partis se répandaient, il est vrai, dans tous les Pays, maïs avec cette différence que les cours ne donnaient un libre accès qu’à ceux qui favorisaient leurs idées. Les émigrans parlant seuls, étaient seuls entendus; mais leur présence, en donnant à penser aux peuples étrangers qui les écoutaicnt, redoublait linquiétude des forts et des puissans du pays: elle leur faisait croire à la nécessité de la ligue, qu’ils s’imaginaient faussement devoir les préserver euxmêmes. Messagers aveugles de la liberté, les émigrans en transplantaient les germes sans le savoir, comme les vents orageux du midi transportent les semences des plantes bienfaisantes dans les climats qui en étaient privés. Le fameux équilibre de l'Europe semblait prêt à se désorganiser complétement ; et, au lieu que tous les rois se réunissaient autrefois contre l’état le plus fort, aujourd’hui ils se ralliaient tous contre celui qui leur paraissait le plus faible. En affermissant le roi des Français sur un trône despotique, ils se croyaient sûrs de mettre la France hors d’état de leur faire ombrage, quels que fussent leurs succès. Mais leur alliance, en changeant tous leurs rapports et. leurs différences entre eux, jetait à l'avenir dans leur politique un embarras plus grand que celui de la situation présente. La France est en effet une pièce si importante à tous dans l’'équilibre de l’Europe , que sa destruction les aurait tous dérangés. Et, lors-même qu'ils seraient parvenus à se la partager entre eux, comme on croit qu'il leur avait été proposé, ils ignoraient ce qui serait résulté d’un partage aussi difficile et d’une guerre générale qui se serait élevée; car jamais les guerres d’alliance n’ont fini comme les alliés l'avaient espéré.

Il aurait été d’une politique plus franche et sur-tont plus sûre de laisser la France faire sa révolution avec l'impétuosité nationale, et dela tempérer chez soi par des moyens convenables à des peuples plus flegmatiques. Mais cette politique n’est pas celle des rois, et les ministres ne savent guère donner que l’ordre facile de lever des troupes et de tuer, Quand on est fort