Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

94 ASSEMBLEE

on se croit dispensé d'être sage. Les révolutions particulières ne sont devenues générales que par cette universelle étourderie des grands, despuissans , et même des nations entières, qui se sont précipitées après eux. Les émigrans, en se répandant dans l’Europe , y portaient la révolution , si l'Europe adoptait le projet de leur croisade.

Elle y paraissait disposée. L'Allemagne , oubliant son équilibre intérieur, semblait sacrifier la seule puissance qui puisse le maintenir. L'Espagne, déjà impuissante à faire fleurir ses portions des deux mondes, fournissait un peu d’or et un peu ‘de troupes : mais elle comptait sur les forces spirituelles de Rome et sur la haîne religieuse des Espagnols : elle oubliait que , dans notre détresse apparente, nous avions armé quarante-cinq vaisseaux pour elle. Le roi de Sardaigne, pouvant peu, risquant peu , espérant peu, comptait sur un de ces légers agrandissemens qui ont fait successivement la politique de cette couronne. Le midi de l'Europe rêvait une guerre de religion ; et il anathématisait, en attendant , les journaux et les gazettes de France. La Prusse, dont au moins l'intérêt du moment était de soutenir la France pour contre-balancer l'Autriche , ne disait point son secret , pouvait beaucoup , promettait peu , mais elle ne désarmait pas. L'impératrice de Russie quittait les Turcs dont la proie était presque assurée , et sacrifiait des vues certaines sur l'Orient, pour s'occuper de l’'Occident , et de cette Méditerranée où ilne lui convenait pas d’entrer parle détroit de Gibraltar. L'empereur, embarrassé par des états séparés et toujours prêts à se détacher de sa couronne, voyait, dans Louis XVI tout-puissant, un grand appuicontre les Belges , mais qui, de long-iemps , ne pouvait le servir, On eût dit qu'il n'avait point d’affaires , le voyant prêt à se mêler de celles des autres , sans savoir comment il s’en tirerait. En Angleterre, la nation, dont l'intérêt est déjà de s’allier avec la Trance, et qui risque de s’en aviser trop tard, la nation paraissait satisfaite de voir naître et croître un peuple libre, et le ministère occupé de l'empêcher. Pitt armaitet désarmait, préparait des flottes, passait des revues, donnait plus à penser qu’il ne pensait lui-même ; faisait une belle parade , et perdait les Indes orientales. Les Suisses , dont la France , soit libre, soit esclave, est l’alliée naturelle, semblaientécouter des insinuations étrangères, et se ménager des alliés, tous plus éloignés, moins sûrs et moins utiles. Quelques princes ecclésiastiques, distribués sur les bords du Rhin, imploraient la religion, le globe de l'empire, la diète de Ratisbonne, et les foudres de Rome ,pour ne pas perdre leurs dîmes. Ils donnaient asile aux ennemis de la France, faisaient maltraiter les Francais qui passaient chezeux, et enseignaient aux émigrés l'exer-