Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

CONSTITUANTE. 3

nis. Le clergé recueillait sans frais le cinquième du produit net des revenus territoriaux du royaume; il possédait d’ail-

leurs des biens immenses, et ne fournissait que des dons gratuits qu'il s’imposait à sa volonté. Les droits avilissans de la féodalité donnaient à la noblesse un genre de revenu qui était un véritable impôt sur les campagnes et une source de vexations ; et, quoique possédant des propriétés immenses , elle se croyait dispensée de contribuer aux dépenses publiques , dont le poids retombait tout entier sur le peuple. Une foule de privilégiés et d’ennoblis avaient obtenu du pouvoir despotique ou en avaient acheté le droit de ne pas concourir aux dépenses de l’état. La vénalité des charges avait rendu nécessaire la vénalité de la justice; et chaque différend entre deux hommes étaitencore un impôt: contribution désastreuse, parce qu’elle ne décimait pas le bien des plaideurs , mais que souvent elle l’emportait tout entier.

Cependant la facilité apparente avec laquelle le peuple semblait payer des impôts aussi considérables , encourageait à en inventer de nouveaux. Les dépenses de la cour étaient arbitraires , et la substance des peuples se dissipait depuis long-temps en de fastueuses frivolités. Le trône était assiégé d’une multitude d'hommes avides et de femmes intéressées, auxquels on prodiguait, sous divers prétextes, les trésors de ’état. Des guerres ruineuses, entreprises avec légèreté , et souvent pour l’avantage seul de quelques individus, avaient accru, pendant deux règnes , la calamité publique. Des empruns désastreux avaient successivement formé une dette immense; et la nation, effrayée de la situation des finances, n'avait devant les yeux que la perspective décourageante de la banqueroute.

La tyrannie sur les fortunes ne va jamais sans la tyrannie sur les personnes; et, pour s’emparer des biens des peuples , il faut commencer par les asservir. Depuis que les rois de l'Europe, à l'exemple de ceux d’Asie, ont eu des troupes à leurs ordres, ils ont été les maîtres des biens et de la vie des hommes, qui sont devenus leurs sujets. Cette institution, imaginée par les rois pour affaiblir la puissance excessive des seigneurs, et pour se passer de leurs services qu'ils faisaient payer trop chèrement, marqua l'époque du despotisme en Europe. Les guerres, dont les rois ont toujours paru ne pouvoir se passer, et qu’on a toujours prises cependant pour la folie des peuples, fournissaient le prétexte de lever des soldats, et les levées de soldats fournissaient des prétextes et des moyens à de nouvelles guerres. Nul despote n'a marché qu'avec des satellites; et par-tout où vous verrez une armée soudoyée par le maître, dites que