Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

CONSTITUANTE. 9

lois leur donna de la profondeur. Dans ses réflexions sur

les gouvernemens sont renfermés fbus les principes de liberté que la raison, le temps et les fautes heureuses du despotisme ont fait éclore. Mais un homme, plus que tous les autres, avancait les progrès de la raison en France, c’est celui qui, jeune encore, séduisit tous les esprits par les charmes d’une poésie brillante, qui réunit tous les talens, qui perfectionna tous les genres, qui combattit tous les abus, qui prit la défense de tous les opprimés, et qui, durant soixante ans, dirigea où commanda ’cpinion publique. Je demande à toute ‘la génération présente , à tous ceux qui du moins ont appris à penser par eux-mêmes et à s'élever au-dessus des préjugés, s’ils n’en sont pas redevables à Voltaire. Son infatigable persévérance réveillait la paresse même, et jamais il ne permit à son siècle de s'endormir sur la vérité. Ses lecons judicieuses, ses critiques fines et ses piquantes satyres, furent le continuel fléau des préjugés, jusques au temps où, après avoir terrassé tour-à-tour mille athlètes de la sottise , il domina seul sur l’arèrie. à Le protecteur infatigable des malheureux aimait la liberté, parce qu’il aimait avec passion l’humanité. Tous les principes de la liberté, toutes les semences de Ja révolution, sont ren-

fermés dans les écrits de Voltaire. Il l'avait prédite, et illa -

faisait, I] minait sans cesse le terrain sur lequel le despotisme édifiait toujours. Heureux de ce que la nature lui laissa le temps d'éclairer deux générations ! car la liberté de la pensée faisant chaque jour autant de progrès que les pouvoirs arbitraires faisaient de fautes, les Français arrivèrent beaucoup plutôt au moment où les esprits devaient être changés.

C’est alors que se forma une école d'hommes supérieurs dont les écrits répandirent une foule de vérités utiles; et ceuxci formant à leur tour une multitude de disciples ‘il s'établit un tribunal éclairé, qui devint le juge des ministres et des rois: c'est celui de l'opinion publique. Ce tribunal a été inconnu aux anciens, parce qu’ils n'avaient pas l'imprimerie, et que les hommes étaient formés par les lois et par les usages, Les peuples qui n’ont qu’un livre, comme les Juifs, les Musulmans , les Guèbres, ne changent jamais d’opinion. Ils

. iraient ainsi jusqu’à la fin des siècles, sans que les lumières fissent chez eux les moindres progrès: leurs docteurs ont toujours raison, carils ne sont pas contredits. C’est une des causes de la perpétuité du despotisme en Asie.

Ü n’a pas tenu aux tyrans de la pensée que nous aussi n’eussions point de livres, Nous noussouvenons tous à quelles persécutions furent exposés les premiers écrivains qui osèrent nous dire la vérité; les cachots de la Bastille les engloutissaient

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