Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

CONSTITUANTE. 2»

Mille six cent quatorze, que d’autres prononcaient seize eent quatorze , était alors le mot qui divisait les esprits : il était dans toutes les bouches, parce que véritablement il renfermait toutes les questions qui occupaient la France, et qui embarrassaient la cour. Les parlementaires , comme Magistrats et comme nobles, avaient un double intérêt à ce que les formes de 1614 fussent conservées. Le clergé et la noblesse y tenaient également; et le tiers-état, qui n’y voyait que son humiliation et la conservation des priviléges , avait couvert ce mot de ridicule, et l'avait voué à la proscription. Mais les notables, qui étaient pour la plupart, ou princes, ou nobles, ou grands, n’eurent pas la force de s'élever au-dessus de leurs intérêts et de leurs préjugés. Prosternés devant les formes antiques, qu'ils auraient peut-être rejetées si elles leur avaient été contraires, ils décidèrent queles divers bailliages, qui tous étaient inégaux en population, enverraient cependant un nombre égal de députés, et s’efforcèrent de maintenir la délibération par ordres et non par têtes.

C'était de cette discussion, qui agitait tous les esprits, que dépendait la destinée toute entière des états-généraux et la constitution de la France, Les deux partis, car ils étaient déjà formés, y voyaient l’un etl’autreune révolution. Les ordres privilégiés ne pouvaient se cacher que, si on délibérait par têtes, l'égalité des voix des communes , Soutenues de ceux des nobles et des ecclésiastiquesquitenaientpourle tiers-état, donneraità celui-ci la prépondérance. Ils se refusaient donc à cette mesure, et s’'appuyaient principalement sur l'usage ancien et sur la forme de convocation de 1614 : par la même raison ils ne voulaient pas queles bailliages très-considérables envoyassent plus de députés que ceux dont les limites et la population étaient peu étendues. Ils craignaient la masse des députés du tiers-état, si leur nombre était considérable.

On peut juger de l'embarras du conseil, entre le peuple, dont les voix réunies étaient si puissantes, et les ordres privilégiés, dont l’ascendant était si fort. M:Necker, qui portait par-tout son caractère et sa vertu, mais que les grands et la cour fatiguaient par cette tyrannie de volonté que donne l'habitude de prescrire sa volonté pour règle, fit néanmoins adopter par le conseil que les députés aux étatsgénéraux seraient au moins au nombre de mille ; qu’il serait en raison composé de la population et des contributions de chaque bailliage; que le nombre des députés du tiersétat serait égal à celui des deux autres ordres réunis. Cés décisions furent la base des convocations. Quant à la question de la délibération par ordres ou par têtes, et par conséquent de la division ou de la réunion des chambres, le

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