Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

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dans la chambre de Louis XIV, où ils défilèrent avec rapidité, après avoir attendu long-temps, entassés dans le vaste salon d'Hercule. Cette distinction parut encore à la procession des états-généraux, où le haut clergé, tout brillant d’or, et les grands du royaume, pressés autour du dais, étalaient la plus grande pompe, tandis que le tiers-état semblait porter le deuil, Mais cette longue cohorte représentait la nation ; et le peuple le sentit si bien, qu'il la couvrit de ses applaudissemens. Il criait, Vive le tiers-etat ! comme depuis il a erté, Wive la nation! Ceite distinction impolitique fit cet effet contraire aux intentions de la cour, que le tiers-état reconnaissait ses défenseurs et ses pères dans les hommes à grande cravate et à manteau noir, et ses ennemis dans les autres. Enfin la manière dont les députés du tiers-état étaient regardés et recus, et les propos méprisans des gens de la cour, achevèrent de les aigrir. D'ailleurs ces hommes, qui n'étaient jamais sortis de leurs provinces, et qui venaient de quitter le spectacle de la .misère des villes et des campagnes, avaient sous les yeux les témoignages des fastueuses dépenses de Louis XIV et de Louis XV, et des recherches voluptueuses d’une nouvelle cour. Ce château , leur disait-on, a coûté deux cents millions; le palais enchanté de St-Cloud, en a coûté douze : on ne connaît pas les dépenses qu'à occasionnnées le petit Trianon. Et ils répondaient : Cette magnificence est le produit de la sueur du peuple.

Paris était dès-lors le centre de l'opinion publique, et elle y était prononcée avec force. La cour sentit que le voisinage de cette ville immense donnerait un grand appui aux députés du peuple; et elle trouva l’occasion d’yappeler assez de forces pour lintimider. Il y avait dans les faubourgs de Paris un honnête citoyen, nommé Réveillon, qui occupait à sa manufacture un grand nombre d'ouvriers dont il était le bienfaiteur et le père. Il leur faisait gagner tous les ans plusde deuxcents millelivres, etles payaitdepuistrente jusqu’à cinquante sous par jour. Toutà-coup on répand le bruit que cet homme a taxé ses ouvriers à quinze sous, qu'il a dit que le pain était trop bon pour eux, et qu'ila été chassé de son districtpoursesdiscoursinhumains. On attroupe les habitans de deuxfaubourgs de Paris, trompés par cette calomnie. On attire sur-tout dans la ville une foule d'étrangers que personne n'avait jamais vus, et qui, après avoir brûlé un fantôme qu’ils appelaient Réveillon , le condamnèrent à la mort. Ces hommes forcenés, après avoir répandu l'effroi dans la ville; se livrèrent durant la nuit à de grossières orgies, Sans que la police prit des mesures pour les réprimer, ni cette nuit, ni le lendemain. Un bataillon de gardes francaises qui étaient à Paris aurait remédié à tout, et on les avait em-