Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

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vingt-sept millions d’habitans sur vingt-six mille lieues carrées d'étendue. Mais lorsqu'on en vint à discuter la part que le roi aurait dans la législation et à calculer l'équilibre entre le monarque et le corps- législatif, il s'établit une grande lutte dans le sein .de l'assemblée nationale. D'un côté étaient ceux que l'habitude avait formés à une tendresse aveugle pour le nom et la personne du roi, quel qu’il puisse être, et ceux qui se gouvernent par l'habitude et trouvent bien tout ce qui fut, et ceux qui pensaient que le roi est seul législateur, et ceux enfin qui espéraient de regagner par le roi tout ce qu'ils avaient perdu par le peuple. De l'autre côté étaient ceux qui, effrayés ou seulement effarouchés de l'ombre même du despotisme, ne voyaient de sauve-garde à la liberté publique que dans la permanence du corps-législatif, faisant les lois et les présentant à la sanction du monarque. Âlors une grande scission fut prononcée. Le président, du haut de sa place, voyait à sa droite et à sa gauche les deux partis, et cette division passa dans tout le royaume.

Il doit arriver, dans un pays libre et instruit, que les discussions publiques du législateur deviennent l’objet des discussions du peuple : sans cette liberté le peuple n’aurait pas des représentans, il aurait des maîtres. L'assemblée agitait cette question, si le roi pourrait, par un seul acte de sa volonté, arrêter une loi qui serait portée par le corpslégislatif, et si ce refus du roi durerait à toujours. Ce refus s’exprime par ce mot latin usité en Pologne, veto, je m'y oppose. En général on était d’accord sur la nécessité de la sanction du roi, mais on différait sur la durée de son refus. La discussion fut assez longue pour que tous les citoyens de l'empire, et sur-tout ceux de Paris, pussent s’en occuper. Dans cette querelle, comme dans toutes les autres de cette nature, on préjugeait l'avenir sur le présent; on se figurait le roi arrêtant, par un refus sans motif, les dis positions les plus utiles au peuple, pour céder aux intrigues de sa cour ou aux intentions de ses ministres. Et, comme chacun attendait une grande régénération que la cour avait intérêt d'arrêter, on imaginait que, si le roi avait le veto, il arrêterait toutes les opérations de l'assemblée nationale; et quea régénération serait impossible,

M. Mounier disait bien, au nom du comité de constitution, que le veto proposé ne regardait pas l'assemblée nationale actuelle, qui, étant corps constituant, faisait accepter et non pas sanctionner la constitution : mais les alarmes se portaient alors sur l’avenir. On voyait que, dans un temps donné, le roi pourrait, à son plaisir, paralyser le corps-législatif; ce qui le

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