Étude sur les idées politiques de Mirabeau
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beau à « ces charlatans qui déchirent un papier en vingt pièces, l’avalent aux yeux de tout le monde et le font ressortir tout entier‘. » Dumont lui-même voit en lui « un général qui fait des conquêtes par ses lieutenants et qui les soumet ensuite à l'autorité dont ils ont été les fondateurs. Il avait le droit, dit-il, de se regarder comme l’auteur de tous ces écrits, parce qu'il avait présidé à l'exécution, et que, sans son activite infatigable , ils n’auraient jamais vu le jour*... Qu'importe d’ailleurs s’il sait mettre à contribution ses amis? S'il sait leur faire produire ce qu’ils n'auraient jamais fait sans lui, il en est véritablement l’auteur. Pourquoi est-il le seul qui sache employer des coadjuteurs®? »
Enfin voici la comparaison qu'inspira au poète Gœthe la publication des Souvenirs de Dumont. « Mirabeau l’étonnant devient un personnage tout naturel, sans que cet homme prodigieux y perde la moindre partie de sa valeur... Les Français voient dans Mirabeau leur Hercule et ils ont raison. Toutefois ils oublient que le colosse est composé, lui aussi, de pièces de rapport et que l'Hercule même des anciens est un être collectif, une personnification gigantesque d'actes qui sont à lui et à d’autres{. »
Terminons par une citation peu connue de M. Thiers :
Tous les contemporains de Mirabeau nous ont parlé de son étrange manière de concevoir et de produire. En joignant à ces renseignements ce que nous voyons tous les jours chez des hommes d’un même tempérament et surtout en méditant ses œuvres, il est facile de se former une idée de ce grand orateur. Il avait beaucoup vu, beaucoup appris et surtout beaucoup haï et beaucoup aimé. Ses connaissances étaient immenses, mais confuses, ses passions violentes. (était un vrai chaos et un chaos orageux. Le travail assidu est peu facile à ces êtres indomptables. Ils dévorent les connaissances nouvelles par un besoin de connaître; mais produire ce qu'ils savent, la plume à la main et par effort d'analyse, leur est impossible. Tout le monde, en effet, sait que Mirabeau n’est pas l’auteur de la plupart de ses ouvrages. Mais quand une révolution s'ouvrit, quand Mirabeau, appelé
1, Dumont, p. 282.
2. Ibid., p. 19.
3. Dumont, p. 256.
4. Entretiens de Gœthe et d’Ackermann, 1832, tr. par Charles. Paris, in-12; cité par M. Plan, p. 5 et 6.
5. Thiers, De l’improvisalion oraloire, dans le Soleil du 11 septembre 1877.