Étude sur les idées politiques de Mirabeau

66 F. DECRUE.

Quelque partisan qu'il soit en théorie de la séparation des trois pouvoirs, Mirabeau, dans la pratique, n’établit pas entre eux des limites infranchissables. Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif se pénètrent l’un l’autre. Il en est un peu de même pour le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Sans doute, on le répétera tout à l’heure, Mirabeau s'oppose, en principe, à ce que l’Assemblée informe ou juge. Il sera toujours difficile, remarquet-il, de concevoir que la liberté puisse être assurée quand le Corps législatif intervient dans les jugements{, C’est le motif pour lequel il rejette le projet de Robespierre de faire de l’Assemblée une cour de cassation?. Cependant, il arrive que, selon l’occasion, Mirabeau néglige la célèbre division des trois pouvoirs, et accorde à l’Assemblée quelque autorité en matière judiciaire. Elle doit venger la nation des outrages, dit-il, et punir dans certains cas. Elle forme donc une haute cour de justice politique et la cour de cassation lui est subordonnée‘. En cas de violation de la Constitution, quel que soit le coupable, c'est à l’Assemblée qu'il faut recourir, « Tout fonctionnaire public, füt-il le roi, s’il se trouve interrompu dans l’exercice de ses pouvoirs par un crime de lèsenation, doit le dénoncer aux représentants de la nation, qui seuls ont le droit d'en demander vengeance5. >» L'Assemblée exerce ainsi, même sur l’ordre judiciaire, une surveillance générale. Ce privilège, qui l’assimile à une sorte d’Aréopage, de Chambre des lords, lui convient d'autant mieux qu’elle représente plus directement le peuple souverain. Ce n’est pas tout. Poussant encore plus loin les concessions, le Courrier de Provence accorde à chacun des membres du Corps législatif le rôle d’un procureur-général, d’un accusateur public. Il encourage les dénonciations politiques. Il redit le mot de Cicéron : « Accusatores multos esse in civitate utile est5. Que ne ressuscite-t-on, s’écrie-t-il, les accusations publiques des Grecs et des Romains’? » Cesycophantisme convient à une époque

. Moniteur. Discours du 9 janvier 1790. Archives parlementaires, p. 311. . Courrier de Provence, v. VIIL, p. 340 à 343.

. Moniteur. Discours du 9 janvier 1790.

. Courrier de Provence, v. VIII, p. 363.

. Courrier de Provence, v. XI, p. 208.

. Courrier de Provence, v. IX, p. 233.

. Ibid., v. IX, p. 480.

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