Étude sur les idées politiques de Mirabeau
68 F. DÉCRUE.
nationale ; c’est là l’origine du mal : depuis qu’ils ont emporté cette victoire, ils n’ont cessé de s’en montrer indignes. Ils ont voulu gouverner le roi au lieu de gouverner par lui : mais bientôt ce ne sera plus ni eux ni lui qui gouverneront ; une vile faction les dominera tous et couvrira la France d’horreur!. »
Quelle que soit cette déclaration, on peut croire que Mirabeau n’a jamais eu d'idées bien arrêtées sur cette question. Dans ses lettres à Mauvillon, comme dans ses premiers discours à l’Assemblée, il s'oppose aux distinctions des ordres, il insiste pour que les états généraux se vérifient et délibèrent en commun?. Sans doute, il a des velléités d'admettre deux chambres comme en Angleterre. « Il s'est opposé, dit Dumont, au décret qui détruisit les ordres et les fondit dans l'Assemblée nationale®. » Il proposait aux députés du tiers état de prendre le titre élastique de Représentants du Peuple français, titre qui pouvait convenir aussi aux députés des trois ordres, s’ils se réunissaient en commun*. Les discours que Mirabeau prononça à cette occasion étaient équivoques, mais il voyait dans cette équivoque une mesure de précaution. « Nous nous sommes constitués, écrit-il à Mauvillon, en Assemblée nationale sur le refus réitéré des deux ordres de se réunir à nous et de vérifier leurs pouvoirs en commun. Ce n'était pas mon avis. Ma motion était de nous déclarer Représentants du Peuple français, c'est-à-dire ce que nous sommes incontestablement, ce que personne ne peut nous empêcher d’être, et ce mot à tiroir, ce mot vraiment ma gique qui se prêtait à tout, qui n’alarmait personne, réduisait à des termes bien simples le grand procès5. » Ainsi Mirabeau se pose, non comme un conservateur, mais comme un conseiller prudent qui, bornant ses désirs, en ajourne la réalisation. M. Henri Martin lui reproche « ce moment d’hésitation et de défaillances. »
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1. Dumont, p. 267.
2. Lettres à Mauvillon, p.431 (8 novembre 88), p. 445 (25 décembre 88), p. 464 (mai 89). Moniteur. Discours des 15 et 16 juin 1789.
3. Dumont, p. 268.
4. Moniteur. Discours des 15 et 16 juin 1789. Courrier de Provence, n° 10, p- 13 et 17.
5. Lettres à Mauvillon, p. 468 (16 juin 1789).
6. Histoire de la Révolution, v. I, p. 49,