La Serbie

Ilime Année. — No 8

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Les causes des désaccords entre l'Italie et la Serbie résident dans la différence des points de vue relatifs au partage territorial de la monarchie austro-hongroise ; puis, en partie, dans la situation et le sort de l’AIbanie et, par conséquent, dans la position que l'Italie désire prendre à l'avenir dans la mer Adriatique.

Le point de vue serbe, dans cette question, est simple et clair. La Serbie désire et veut que tous les pays où vit le peuple serbe, croate et slovène, peuple de même origine, de mêmes sentiments et de même langue, se réunissent dans un seul Etat libre. Tel est le désir aussi de tout le peuple serbo-croato-slovène et il en à donné des preuves indubitables par la bouche de ses véritables représentants. Le peuple serbo-croato-slovène désire $’unir en un seul Etat non pas en raison de tendances impérialistes, mais pour des raisons psychologiques, culturelles et économiques, étant convaincu qu'il pourra pleinement développer ses aptitudes intellectuelles et économiques uniquement dans son Etat à lui, dans lequel seront réunis tous les membres de notre peuple à trois noms.

Comme raison principale de son entrée dans la guerre mondiale, l'Italie a invoqué le principe de nationalité et l’union en un Etat de toute sa nation. Mais il semble qu’elle ait eu encore deux autres raisons et qui dominent aussi sa politique dans la guerre actuelle. Les deux faits qui, en dehors de principe de nationalité, semblent déterminer la politique italienne sont les velléités impérialistes d’un certain nombre d'hommes politiques et l'illusion du danger serbe dans l'avenir. |

Au moment où le gouvernement italien s’est décidé à entrer dans l’action, les dispositions du peuple n’ont pas été les mêmes partout en Italie. Cest pourquoi on a été obligé de montrer au peuple les plus grands résultats possibles que lui apporterait la guerre et de lui prouver, par des faits concrets, les garanties que la guerre fournirait à l'Italie pour son progrès économique et, surtout, pour son futur prestige militaire et politique. On pensait en ltalie que ces résultats pourraient être atteints seulement si l'Italie, dans ses traités avec les alliés, s’assurait, en dehors des régions purement italiennes de l’Autriche-Hongrie, d’autres régions qui n’appartenaient ethniquement pas à l'Italie. À cet égard, l'Italie a dû, avant tout, penser à l’Istrie et à la Dalmatie. La raison pour

laquelle l'Italie demandait pour elle préci- |

sément ces deux régions n’est pas douteuse. Outre le désir d’expansion qui devait tout naturellement trouver satisfaction dans un voisinage le plus proche, le gouvernement italien s’est aussi laissé guider dans ce sens par le courant chauviniste et nationaliste en Italie qui a trouvé, comme justification, des aspirations italiennes sur Y'Istrie et la Dalmatie, le fait que la République Vénitienne y avait régné autrefois et que la civilisation italienne à toujours exercé une grande influence sur celte région. 2

En dehors de ces tendances nationalistes et chauvinistes, on se disait qu'une telle solution de la question istrienne et dalmate satisferait les intérêts de l'Italie encore sous un autre rapport, le plus important peut-être. Une telle solution aurait

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JOURNAL POLITIQUE HEBDOMADAIRE

Paraissant tous les Samedis

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affaibli dans une très forte mesure l'Etat futur des Serbes, Croates et Slovènes et elle aurait assuré, selon l'opinion des experts militaires et politiciens italiens, non seulement des excellentes bases et frontières stratégiques dans un conflit éventuel de l'Italie avec la Yougoslavie, mais aussi la suprématie de l'Italie dans l’Adriatique pour tous les temps.

Le publiciste et homme politique anglais bien connu, M. Seton-Watson, à fait à plusieurs reprises remarquer dans ses écrits que la bataille de Kumanovo a créé un revirement dans la nouvelle histoire de l’'Europe. La bataille de Kumanovo, exposait M. Watson, a montré à l’Autriche-Hongrie la force extraordinaire de la Serbie que personne ne supposait et, surtout, pas les spécialistes militaires et politiciens austrohongrois. Cest alors que, pour la première fois en Autriche-Hongrie, on s’est aperçu du danger que représente la puis-

sance inattendue de la Serbie, surtout en

raison des aspirations nationales serbes sur des pays englobés par la monarchie des Habsbourg et dont les peuples désirent eux-mêmes la réalisation de l'unité yougoslave. Tout ce qui est arrivé après la bataille de Kumanovo n’a fait que raffermir, auprès des spécialistes politiques et militaires austro-hongrois, la certitude de la force de la Serbie et le grand danger qui, de ce côté, pourrait menacer la monarchie austro-hongroise. C'est pourquoi les facteurs autorisés austro-hongrois étaient décidés à écarter ce danger le plus tôt possible. Mais si la bataille de Kumanovo, ainsi que tout ce qui l’a suivie, a pour ainsi dire dévoilé le danger serbe à l’Autriche-Hongrie, il semble que l'Italie, elle aussi, a été très étonnée de la force serbe. Les cercles politiques et militaires italiens paraissent être venus à la conviction que l'Italie, elle aussi, pourrait une fois être menacée de ce côté. Mais ce danger serbe paraissait, en ce moment, aux hommes d'Etat italiens encore fort éloigné et lorsque l’AutricheHongrie, immédiatement après la paix de Bucarest, voulait lâchement se ruer sur la Serbie, l'Italie a refusé d’une manière chevaleresque de se faire complice d'un tel crime. Mais le fantôme du danger serbe existait déjà alors dans la fantaisie de certains hommes d'Etat et militaires italiens. Cette crainte du danger serbe pour l'Italie est complètement sans fondement, pour ne pas dire ridicule. L'Italie qui, de cette guerre, doit sortir agrandie et nationalement unie, sera forte aussi bien sur la mer que sur la terre à un tel point qu'elle n'aura rien à craindre avec ses cinquante millions d'habitants, sa flotte puissante et son armée nombreuse, de la Yougoslavie, Etat qui, dans le cas le plus favorable pourra compter douze millions d'habitants, brisés par la guerre et les persécutions, avec des régions détruites et incivilisées, Etat presque sans armée et complètement dépourvu de flotte.

Les combinaisons politiques ne se font pas et ne peuvent pas être faites pour cent ans, mais pour un demi-siècle tout au plus. Pour un tel laps de temps les circonstances viennent à changer d'ordinaire sous des rapports si divers qu'il est impossible de faire pour une durée de temps plus longue des combinaisons sérieuses et probables.

Dr Lazare MARCOVITCH, professeur à l'Univer

L'ITALIE ET LA SE!

BIE —

l'ailleurs personne ne fait cela. Je suis c>pendant convaincu, qu’en ltalie ne se ixouye. pas un seul homme qui. pourrait

sé Æusement croire que l'État Vougoslnvé,

vu la situation dans laquelle il se trouvera en tout cas après la guerre, pourrait devenir un rival sérieux de l'Italie sous n'importe quel rapport, pour une durée de plusieurs décades. Mais supposons même cette éventualité, quoique impossible, est-ce qu’alors l'Îtalie, qui serait sérieusement menacée par la Yougoslavie, ne pourrait dans ce cas trouver toujours des alliés en nombre suflisant parmiles voisins de la Yougoslavie qui verraient dans la Yougoslavie un danger beaucoup plus grand que l'Italie et qui seront toujours disposés à aider celui qui voudrait continuer à l’affaiblissement de la Yougoslavie ?

Or l'Italie doit comprendre qu’en s'emparant des régions slaves, elle ferait de nous nécessairement ses adversaires. Dans de telles circonstances, l'amitié entre nos peuples ne pourrait jamais s'établir. L'Ttalie aurait dans ce cas, sans y être forcée, un ennemi qui autrement pourrait être toujours son ami et son allié fidèle et sincère. L'Italie léserait le principe de nationalité pour lequel elle-même a combattu et qu’elle a inscrit comme devise sur son drapeau aussi dans la guerre actuelle.

Les points stratégiques ne peuvent servir d'aucun argument. Je conviens que dans certains cas exceptiônnels on peut accorder à une puissance étrangère, pour des raisons stratégiques, la possession des points déterminés et ayant un caractère mondial ; ces

sité de Belgrade

Genève, Samedi 23 Février 1918

ABONNEMENT

à . Le Gfr. — par an Autres pays. Jfr.— »

concessions ne peuvent dans ce cas se rapporter que strictement aux points déterminés, mais ces points stratégiques ne peuvent en aucun cas comprendre les régions entiéres, Dans ce éas ce ne sont plus les points stratégiques, c'est l’impérialisme et la politique coloniale et impérialiste.

Unéïtelle politique feraitsde d'alie une

nouvelle Autriche dans les Balkans avec tous les attributs qu'avait cette dernière et qui lui ont créé la position et le sort que personne ne doit lui envier et l’ltalie moins que tout autre. Du reste la valeur des points stratégiques en général s’est révélée nulle dans cette guerre même, car les Etats qui ont demandé et obtenu des points stratégiques, les ont perdus en quelques jours tandis que des autres points non-stratégiques résistaient beaucoup plus.

L’ennemi principal du peuple italien se trouve au nord et cet ennemi, si affaibli qu'il soit dans cette guerre, sera toujours assez fort pour être un danger pour l'Italie. Dans la lutte contre cet ennemi, l'Italie ne pourra pas facilement trouver des alliés. Dans cetle question, cependant, les intérêts des peuples serbe et italien sont

identiques et demeureront toujours identi-

ques. Si l'Italie réussit à comprendre que par l'abandon des prétentions non fondées sur les régions serbo-croates et slovènes tous les désaccords avec la Yougoslavie seraient écartés, elle préparera par là des bases sûres pour une alliance solide et durable avec le peuple serbe. Car l'amitié et l'alliance avec le peuple serbe seront les meilleurs points stratégiques de l'Italie.

Dr Stanoyevitch,

Professeur d'Histoire à l'Université de Belgrade.

Le comte Andrassy ne cesse pas de discuter à perte de vue la question de la paix. Il passe d’une revue À l’autre sans changer de thème. Sur 64 pages de la « Revue de Hongrie », son plaidoyer pour la paix me contient pas moins de di pages. Il s’y prodigue en répliques et me craint point d'attaquer l'adversaire, sachant bien qu’on ne se défend avec succès qu'en prenant l'offensive. C’est un rude assaillant que le comte Andrassy. Il y va en polémique des ongles et des dents, sans compter les feintes et les ruses: IL répond en même temps à M Bonar Law, à M. Lloyd George et à M. Ribot et prend à partie le président Wilson. Îl se donne surtout la peine d'expliquer d’où provient ce mouvement en faveur de la paix qui se dessine nettement en Autriche depuis un certain temps. Il prétend que ce nest point parce que ses compatriotes se sentiraient battus ou fatigués qu'ils réclament à présent la paix. Ce ne serait pas non plus par crainte d’une révolution intérieure dont ils se sentent menacés. C’est un sentiment d'humanité qui leur dicte leur attitude actuelle. Il est vrai que selon nous ce sentiment leur sera venu un peu tard, mais le principal serait, de l'avis du comte Andrassy, qu'il ne s’agit point d'une manœuvre où d’un effet de la peur. ‘Cependant, malgré son habileté, le talent de M. Andrassy le trahit parfois et il commet des imprudences en faisant des aveux compromettants. En voici un qui est de pature à lui causer ‘un tort immense. En parlant des motifs qui ont déterminé son pays à déclarer la guerre, il dit:

« À côté du sentiment, il y a desraisons d’ordre politique. Au

LES AVEUX DU COMTE ANDRASSVY

début on croyait que la guerre ne serait pas de longue durée; que la décision ne se ferait pas attendre et qu’on aurait une répétition des guerres napoléoniennes où de la guerre de 1866 ou de celle de 1870. »

Comment cet aveu pourrait-il s’accorder avec l'affirmation qui vient ensuite et suivant laquelle les Autrichiens auraïent, pour motif de se battre, la légitime défense? Car, lorsque l’on ne combat que pour se défendre, on me se demande point si la guerre va durer où non et si la décision se fera attendre. On se bat alors uniquement parce qu'on y est obligé sans se préoccuper de ce qui adviendra. Get aveu se retourne donc contre son auteur, prouvant que la guerre fut entreprise dans un but de conquête. Ce calcul s'étant montré faux, on dut bientôt reconnaître qu'on s'était fait illusion et on voudrait maintenant se retirer du jeu.

Si M. Andrassy connaissait les rudiments de la discussion internationale, il aurait observé certaines règles, dont la première est: de se tenir, en fait d’excuse, À une seule affirmation, au lieu d’user d’arguments qui se contredisent.

En effet, l'explication concernant la durée de la guerre est bien loin d'accroître la confiance des lecteurs dans les motifs qu’il indique comme ayant poussé lAutriche à la guerre. Cette fois-ci Andrassy a été la victime de som talent de dialecticien. Voulant trop prouver, il ne prouva rien.

Mais le second aveu du comte Andrassy est encore plus intéressant.

« La vérité sur la question des

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