La Serbie
oo Lundi 12 Janvier 1919 — Nos 2
LA SERBIE
L'opinion publique britannique et les relations italo-sudslaves
M. Arthur Evans publie dans le « Manchester Guardian » du 24 décembre un exposé très clair de l’état des rapports italo-sudslaves. Il s'occupe plus particulièrement de la façon étrange ‘el neftement hostile aux Sudslaves dont les Italiens se comportent dans les territoires de la Dalmatie et de l’Istrie occupés provisoirement par l’armée italienne. De cet article très instructif, nous détachions quelques passages qui contiennent une appréciation générale de la politique de l'Italie officielle envers lies Slaves du Sud.
« On ne peut pas, écrit M. Evans, insister assez sur le fait que la situation actuelle désespérée est le résultat direct de l'abandon délibéré de cet accord amical conclu entre les peuples ilalient et sudslave, par l’intenmédiaire de leurs meprésentants au Congrès des nationalités opprimées d’Autriche-Hongrie, tenu au Capitole à Rome le 8 au 10 avril 1918, sur l'invitation du ministre-président italien. Le pacte de Rome a été publiquement accepté par M. Orlando et il a reçu aussi ladhésion de tous ses collègues. Même le baron Sonnino, quoiqu'il eût refusé d’assister au Congrès, à consenti à envoyer un message aux membres du Congrès djns lequel il disait que tous les ministres italiens approuvaient leurs résolutions.
Le véritable objet de cet accord consistait à remplacer le traité secret de) Londres qui est contraire sur tous les points aux principes de la libre détermination des peuples. Les représentants slaves qui craignaient toujours que lauteur de ce document sinistre n’essaie de le Faire revivre, ne se sont décidés à aller au Ciongrès qu'après avoir reçu des assurances formelles que le traité de Londres serait considéré comme cadue si lon arrivait à conclure un pacte de conciliation... Il n’est pas besoin de démontrer ici l'attitude hostile du baron Sonnino qui se réflète encore aujourd'hui dans la liberté laissée à la presse nationaliste italienne de poursuivre sa campagne de rancume contre les Slaves du Sud. On se rappelle aussi Varrestation «et l’intermement, à deux reprises des délégués slaves venus en Italie
r conclure un arrangement concernant la remise de la flotte austro-hongroise; oni n'a pas oublié non plusiles pourparlers secrets avec l’Autriche-Hongrie, l’internkement de ces troupes sudslaves qui me s'étaient rendues que pour combattre sur d'autres fronts avec les Alliés, et enfin la pression exercée par !# gouvernement italien sur les puissances allées pour qu'eiles ne reconnaissent pas la gouvernement sudslave. Lorsque les gouverneiments britannique ét français firent la déclaration publique du mois de septembre dernier relative à leurs sympathies pour la cause de l'union mationale sudslave, la politique du ministère des affaires élrangères italien se manifesta d’une façon ouverte. Ce ministère insista auprès des Aîlliés sur la lettre de leur engagemeænt et demanda sa livre de viande. Il exigea, en d’autres termes, que l’on reconr nût de nouveau la validité du traité de Londres. Ce document metternich'en supposait l'existence d’un puissant empire austro-allemand sur les rives de lAdriatique et impliquaït des conditions qui Apr partiennent maintenant à un monde disparu. Mais quoique ce traité ait été rendu caduc de facto par l'adhésion publique des ministres italiens au pacte de Rome, notre diplomatie, par une négligence étrange des occasions fournies, n’a pas su profiter de ces déclarations Il s’ensuivit nécessairement que la seule réponse officielle qui put être donnée au baron Sonnino fut que les gouvernements françaïs et britannique « respectäient leur signafure ».
Le traité de Londres est cependant un accord purement umilatéral et qui ne concerne que les trois gouvernements intéressés ‘ayant pour objet une propriéié à laquelle les puissances signataires du trailé n’ont aucum tifre. Par sa nature même, ce traité ne possède donc pas de validité internationale. IL a été tenu secret (sur la demande du gouvernement italien) non seulement pour les Slaves du sud, mais aussi pour notre allié serbe dont il affectait si gravement les intérûts. Le tprince Alexandre de Serbie em acceptant tout récémment la régence royale de tous 1es peuples sudslaves a ‘très justement fait la remarque que le nouveau royaume! uni n'était nullement engagé par ce traité et qu'il s’opposerait detoute sa force à l'exécution de ses clauses qui menacent lintégrité de ses frontières nationales légi-
times. » %
du 28 décembre con-
Le: « Spectator » à l’Ita-
sacre également un article spécial lie et à la Yougoslavie. =
« Dans le pacte de Rome on avait comvenu que les noyaux d'Italiens et, inversément, les noyaux de Slaves qui Iseraïent
englobés dans les territoires respectifs recevraient toutes les garanties pour le libre usage de leur langue et pour le maintien de leurs mœurs nationales. Par cette clause, les intérêts de la population dalmate qui parle l'italien étaient parfaitement protégés, et on doit faire la remarque que les anmexions que lltalie se propose d'accomplir en Îstrie, à Gradisca et Goritza, amèneront ‘une très nombreuse population slave dans le cadre de ltalie, ce qui donnera aux Yougoslaves uni titre égal à l’'irrédentisme, Même si l'Italie n'obtenait rien du tout dams l’Adriatique, elle se serait assurée un grand avantage par sa participation à la guerre à côté des Alliés. Elle reprend Trente qui a été pendant longtemps ‘une épine autrichienne au centre de. som territoire. du nord. Elle avance sa frontière septentrionale jusqu’au défilé du Brenner, em obtenant ainsi une amélioration immense de sa position défensive. Ajoutez-y encore la possession de Trieste, port commercial d’énorme valeur, et de Pola, qui est la stalïon navale de l’Autriche, avec les territoires environnants qui, de fait, sont habités par un peuple de race non italienne. Plus que cela, l'Italie acquiert une autre clé de lAdriatique dans le port albanais de Valona. Par conséquent, il est difficile de voir comment litalie peut être menacée dans lAdriatique au point de vue naval.
Sa prédominance, en comparaison de l'Etat yougoslave, sera énorme. Sa population, même avamt la guerre, s'élevait à trente-six millions el comprend maintenant de plus la population des provinces nouvellement acquises.
La population ‘de l'Etat sudslave sera à peu près de douze millions. L'Italie ten réalité est aujourd'hui complètement délivrée de son ancienne peur de l'Autriche; elle n’a plus pour voisin un empire puissant, mais un Etat nouveau et relativement faible, Elle n’a pas non plus aucune: raison de craindre l’éventualité que, cet Etat pût servir un jour d’avant-poste au grand empire slave de la Russie. Cie danger, qui était une possibilité en 1915, n'existe plus aujourd’hui.
Par conséquent, la situation actuelle est telle que l'Italie n'a rien à craindre en faisaril des. concessions à l'Etat sud-slave
Au contraire, elle à tout à gagner En s’assurant l'amitié de ce nouveau voisin Ses nombreux amis en Grande-Bretagnië espèrent quelle saura faire le choix juste, »
La Dalmatie à ses amis
Les Français à Doubrovnik (Raguse)
Le 29 novembre 1918 est arrivé à Doubrovnik (Raguse) le premier bataillon français. Il fut accueilli avec le plus grand enthousiasme par la population de la ville. Le colonel Debieuvre, qui se trouvait à la tête du bataillon, fut salué à son entrée dans la ville par le capitaine serbe, M. Milan VI. Georgévitch, qui exprima, au nom des soldats serbes, sa profonde gratitude aux héros français venus encore une fois au secours des Serbes: « Le peuple des Serbes, Croales et Slovènes, dit-il, sait ce qu'il doit à la noble France et les soldats serbes connaissent ceux qui pendant quatre ans versèrent leur sang précieux sur les champs de bataille macédoniens. Gloire à nos frères d'armes français, gloire à la France aujourd’hui plus grande que jamais! » ,
Le colonel Debieuvre, visiblement ému, remercia chaleureusemient la population et les soldats serbes de leur accueil si cordial et touchant. IL raconta comment les soldats français, dans toutes les viles ët dans les plus petits villages, avaient 6ké portés en triomphe par les habitants. il ajouta qu'à Doubrovnik (Raguse) auss!, ils se sentent aussi comme chez eux ef il se dit heureux d’avoir combattu vour la délivrance de la Serbie et pour la réalisation de ses idéals. « Aujourd’hui est réalisé, dit-il, le rêve des empereurs serbes Douchan et Lazare et je-suis heureux d'avoir pour {âche la consolidation, avec l'armée serpe, du nouvel état de choses. »
Il salua ensuite le volontaire français de 1871, le roi Pierre de Serbie; le prince héritier Alexandre, commandant en chef des armées serbes, ainsi que le peuple serbe. Puis il serra cordialement la main au capitaine Georgévitch, tandis que la musique exécutait l'hymne serbe « Bojé Pravdé ». |
Tout le monde était ému de voir les fi!s de ce grand peuple, qui donna un refuge fratermel aux Serbes en exil, ces héros de la Marne qui sauvèrent la liberté du monde.
Ce fut ‘ de Raguse, qui çais au mom de brovnik est heureux
M. le Dr Péro Tchingria, maire salua les soldats framla ville. IL dit: « Doude recevoir dans ses
; murailles antiques la glorieuse armée du peuple français, Nous voyons en vous les
porteurs de la liberté, du droit des peup.es de disposer d'eux-mêmes, qui servira de base à l'Europe mouvelle. Nous sommes conWaincus que le droït d'auto disposition me sera pas pour nous une vaine parole. Vous arrivez juste au moment où noire liberté et motre peuple sont de nouveau menacés. De quel côté vient le danger, inutile de vous le dire. Pendant que nous mous inclinons devant le drapeau de la grande République française, immortal:sé par la gloire, nous ne pouvons pas nous abstenir, en ce moment historique, de formuler devant vous ‘une demande énergique, celle de respecter Pintégrité de l'Etat serbocroato-slovène et le droit des peuples de disposer d'eux-mêmes. Vive la glorieuse armée française! Vive la Yougoslavie! »
Le colonel Debieuvre) remiercia en disant qu’il comprend très bien nos préoccupations et nos inquiétudes, et que nous pou-
vous être sûrs qu'il prétera le plus grand
appui à l'armée serbe en vue die la réalisation de l'unité des Serbes, Croates (et Slovènes.
Devant la maïrie, M. le Dr Stankovitch!
prononça en français le discours suivant:
Kk À Raguse, vous y étiez il y a déjà cent ans, lorsque après Venise vint lle tour de cette ancienne République de baisser pavillon. La roule, que vous avez parcourue de Gravose jusqu'ici, c’est vous (qui l'avez bâlie: rien) n’a été changé et c’est bien) conforme aux lois de l’insondable Pro“idence, que vous veniez par le même chemin après tant d'années pour crier à l'âme accablée de cette Athènes slave: « Lève-loi, à ville f'étrie, voilà la France libératrice des oppressés, qui vient be ipriendre sur ses genoux et recevoir de toi comme une sœur aînée un tendre baiser de reconnaissance et d’adm'ration. »
Il fallait que la France devienne 1e théâtre sanglant de tant de scènes tristes et qu’on y éprouve jusqu’au désespoir le sentiment le plus noble d’un& na‘ion, pour que le fruit paisible de la victoire fasse ressusciter le grand monde des petils let des oppressés. Dans la bataïlle de la Marne, lorsque vous avez arrêté ces lorrents qui allaient inonder la France, vous avez sauvé mon seulement votre patrie, mais aussi l'Europe tout entière.
Pour vous qui avez secour la Serbie écrasée, éprouvée, qui avez lutté avec ses soldats el lui avez assuré — ‘commef à des héros dignes de la liberté — votre, estimike, nous restons à jamais pleins de reconnaissance et de gratitude!
Envers une telle nation, soyez sûrs, M'essieurs et Vous vaïllantes troupes françaises, que cette ancienne Athènes slave ne peut ressentir que laffection la plus tendre qui s'exprime dans une prière toule spon-
tanée et radieuse:
Toi, 6 France! assiste-nous comme une sœur aînée dans nos premiers pas vers la réalisation du but pour lequel nous avons lutté, souffert, et qui doit permettre de s'affirmer en, Etat libre au grand monde yougoslave des Serbes, Croates et S'ovènes, union adorée que caressait déjà il y a quatre cenits ans un fils de Raguse.
Vive la France, la noble, la ‘douce France! É
Gloire aux héros de la France tombés en luftant pour la civiisation! »
Le dossier noir bulgare
Les horreurs bulgares
Dans la revue britannique « The Common Cause » du 14 décembre, une personne à la tête de l'hôpital des femmes de Scotland en Serbie, Mme Green, publie une correspondance très intéressante sur le travail formidable accompli par les infirmières américainies et anglaises dans les villes libérées de la Serbie. Mme Green parle, en outre, des souffrances terribles emdurées par la population serbe pendant l'occupation bulgare et elle donne quilques détails sur la manÿère abominable dont les Bulgares se sont comportés en Serbie:
« Nous travaillons ferme, écrit-elle, let les souffrances et les privations de toutes sortes autour de mous sont vraiment terribles. Un pauvre officier serbe a été amené l'autre jour chez nous sans connaissance. Rappelé à lui, il insista pour être aulorisé à parti immédiatement pour Uscub. Son état ne permettait pas ‘di tout le déplacement, Moi et le Dr Emslie fimes tout notre possible pour le persuader de différer son voyage de quelques jours. L'officier nous raconta alors sa trisle histoire: Comment il était rentré en Serbie, le cœur plein de joie, avec l'espoir de revoir, après trois ans de séparation. sa femme el ses petits enfants dans sa petite maison qu'il aimait tant, et comment il avait trouvé sa maison entièrement brûlée; sa femme et Ses enfants avaient élé pendus par les Bulgares. Il nous a as-
ES EEE om
suré qu’il était bien loin d’être le seul parmi les officiers à avoir partagé le même sort. « Beaucoup de mes camarades, ajouta-t-il, se suicidèrent ow devinrent fous, mais moi je veux regagner mon régiment, Je me suis pas du tout malade d’une mar ladie guérissable, mais mon cœur ‘st brisé et je me me sens plus aucune envie de vivre. » F Le truc d’un Bulgare!
Un Bulgare anonyme a prié la rédaction du « Journal de Genève » de publier sa lettre (no du 8 janvier) où ül met en garde le public contre les -nouvelles concernant les atrocités commises par les Bulgares en Serbie occupée et en Grèce, disant que la Bulgarie n’est pas, actuellement, en mesure de se défendre, Or, ül est utile de rappeler que les documents sur les atrocités bulgares se trouvent en majeure partie dans la presse bulgare, comme le livre du Dr Kuhne: « Les Bulgares peints par eux-mêmes » le démontre pour fout homme objectif. L'enquête faile en ce moment en Siérbüe, par ‘une commission internationale, fournira d’autres preuves, Le truc du faux Russia Bechirovsky, alias Strezoff, n’y changera rien. Les coupables n'échapperont pas aw châtiment. Les conférences de M. Pétrovitch sur la poésie nationale serbe
Mercredi soir à l’'Aula de l’Université de Genève, M. Svetislav Pétrovilch, prolfesseur au premier lycée de Belgrade, a donné sa première conférence sur la poésie populaire serbe. 1
Le conférencier a été introduit par M. Bernard Bouvier, qui, dans une brillante improvisation a évoqué l’image de la Serbic glorieuse, de ses héros ket de) sès martyrs dont le souvenir avait aidé à former Vâme du peuple. Rappelant le rôle que la jeunesse intellectuelle a joué durant cette guerre, il souligna la grande valeur des forces intellectuelles à notre époque. I1 dit que leur importance ne fera que croître durant la période d'après-guerre qui aura à procéder à la reconstruction sociale et à l'établissement de l’ordre nouveau, Puis, il montra ce que lécole a donné à l'univers dans les Fgures puissantes d'un Wilson et d’un Masaryk. :
Ïl rappela également les Jiens intellectuels unissant la Serbie à la Suisse kt insista sur le fait que ce fut Genève qui dota l’Université de Belgrade de ses mreilleures forces, la plupart des professeurs et le recteur de cette Université étant d’anciens élèves de l’Académie de Genève.
Enfin, M. Bouvier parla en termes élosieux de notre journal, le seul organe serbe en français paraissant à l'étranger, el de ses rédacteurs.
Nous sommes fiers de tels éloges, venant d’une des gloires universitaires helvétiques let nous serions bien heureux de, les mériter tous. ;
Au cours de son allocution, la voix de M. Bouvier s’anima; sa parole prit un accent d’émouvante sincérité qui produisit ‘une profonde impression sur l’auditoire. ‘ Les Serbes, qui étaient en grandi nombre présents à cette conférence, se souvienaront toujours des paroïes de sympathie que M. Bouvier, grana et sincère ami de la Serbie, adressa à leur pays.
La conférence ‘de M. Pétrovitch a étéides plus intéressantes. Tour à tour sérieuse et amusante, elle a été surtout très instructive. Tout ce qui révèle l’âme nationale,-les caractères, les coutumes, tout cela se trouve condensé dans la poésie populaire serbe que M. Pélrovitch: a sw présenter au public suisse de façon captivante. Cette poésie populaire, c’est le récit vibrant de l’histoire serbe dont Lamartine disait autrefois qu « elle devrait se chanter et non S’écrire. C’est un poème qui s'accomplit encore » (Lamartine: Voyage en Orient.\ ï
En termes touchants ef pleins de délicaesse, le conférencier a ‘exposé les différentes phases de l’histoire die l'épopée nationale, Les légendes des héros populaires si émouvantes ont été racontées par lui, avec ‘un charme intime et doux.
Dans la première partie de sa conférence, M. Pélrovitch a parlé de la poésie héroïque, dans la seconde de la poésie féminine des « Chansons des Femmes », qui sont d’une tendresse et d’unesimplicité
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ravissante. “
| Le succès de cette première conférencÆ fut complet. Aussi l’orateur a-t-il été vivement applaudi. à
a ——_—_—_—_Société Génevoise d'Edit. et d'Impr. — Genève