Les états généraux en France
864 LES ÊTATS GÉNÉRAUX EN FRANCE.
Un roi fait la cour à la noblesse ; son successeur lui fait la guerre. La noblesse d'épée lutte contre la noblesse de robe ; le grand seigneur croirait déroger s’il fréquentait le gentilhomme campagnard : il se moque de lui, il le raille, et c'est à cela que se bornent leurs rapports. Dans l’ordre ecclésiastique, lorsqu'une question religieuse n’est point en jeu, on ne s'entend pas mieux. Là, tandis que les prélats se joignent le plus souvent au second ordre pour défendre leurs priviléges, le bas clergé s’unit presque toujours au tiers état d’où il sort : il lutte avec lui en faveur d’une égalité qui, bien comprise et pratiquée, a sà source dans l’Évangile lui-même. ‘
Que ce soit ou non l’un des vices, c’est assurément une des conditions de la nature humaïne qu'en ce monde chacun cherche son bien et s’y attache. Souvent on le défend mal, quelquefois même injustement, mais toujours on le défend. Un peu forcée ou pleinement volontaire, l'infraction la plus marquante à cette règle est celle qui se rapporte à la nuit du 4 août 1789. Dans cette nuit mémorable, que vit-on, sinon les ordres privilégiés monter eux-mêmes à l’assaut des priviléges et y renoncer avec entrain? Jusque-là, ils les revendiquent souvent, c’est vrai; mais c’est naturel. Dans l’ancien temps, ces priviléges ne sont pas seulement le bien du clergé et de la noblesse : l'usage en a fait leur droit. Il ne faut pas plus s'étonner de la coalition qui, sur des points déterminés, s'établit souvent entre le premier et le second ordre, que de la persévérance avec laquelle le troisième ordre insiste pour que les classes s’effacent; pour que, dans les sessions d’États, le vote par tête soit admis. Ce qu’il faut constater, c’est que la coalition dont il s’agit n’eut pour elle ni la sanction du droit dans les États, ni, en dehors des assemblées d’États, la permanence du fait.
En droit, c'est la vieille règle que jamais deux des ordres ne doivent pouvoir « lier le tiers. » Comme le fait remarquer M. Picot, dont M. Guizot d’ailleurs invoque l'autorité dans l'Histoire de France qu'il publie en ce moment!, le fiers ici ne veut pas dire le fiers état, mais bien celui des trois ordres qui, en n’importe quelle circonstance, serait menacé d’oppression par les deux autres.
En fait, s’il faut convenir qu’au sein des États les ordres privilégiés s’entendirent souvent pour défendre leurs prérogatives commures, il ne résulte pas du tout de là qu'il y eût, comme on le croit, accord complet et permanent entre le clergé et la noblesse. Surtout, la royauté ne favorisa jamais cette alliance. Dès le douzième siècle — l’auteur des Lettres sur l'histoire de France en a fait la remar-
! L'Histoire de France racontée à mes petits-enfants. Les deux premiers voïumes ont paru à la librairie Hachette.