Lettres inédites de Frédéric Gentz à sir Francis d'Ivernois (1798-1803)

une petite dissertation particulière de mes principes et de mes raisonnements sur un sujet que vous avez traité d’une manière si neuve et si habile.

Pour ce qui est de votre grand ouvrage de l’état de la France, je le regarde comme la leçon la plus salutaire qui pouvait jamais être adressée aux hommes de tous les pays, contre la séduction de l'esprit révolutionnaire et le penchant funeste pour les innovations. C'est un tableau par lequel vous avez bien mérité de la génération actuelle et de la postérité, plus effrayant que tout ce qu’on peut dire sur la marche et les événements de la révolution; plus instructif que tous les raisonnements contre ses principes. Il n’y a eu de tout temps, comme vous le savez, Monsieur, qu’un seul point sur lequel nos opinions ne se sont pas entièrement rencontrées, et ce point-là (je vous le dis avec la franchise inséparable du respect et de l'admiration que vous m'avez inspirés) je le retrouve encore dans ce dernier ouvrage. Il est impossible de peindre avec des couleurs trop fortes toutes les plaies que cette malheureuse révolution a faite (sic) à la France : la diminution ou l’anéantissement des capitaux, la stagnation de l’industrie et du commerce, la dilapidation de la fortune publique, la perte du crédit, l'épuisement absolu dans lequel ce pays s’est précipité, et toutes les suites funestes qu’il doit produire relativement au bonheur et aux mœurs d’une nation privée de toutes les sources de prospérité et de moralité publique. Mais j'ai toujours cru que les conséquences que vous tirez de cet état déplorable, et les calculs par lesquels vous démontrez l’impuissance du Gouvernement mènent trop loin. J’ai été d’abord, et au fond je suis encore parfaitement d'accord avec vous sur les principes de vos calculs ; mais ici l’expérience a, pour ainsi dire, écrasé les principes. Autrefois on raisonnait juste en mesurant les forces d’un gouvernement sur les ressources intérieures du pays; mais depuis quelque temps l'expérience paraît avoir établi un principe absolument neuf de l’économie politique, c’est que— toutes les fois qu’il s’agit d’un État consi-

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dérable — il est impossible de calculer le degré d’épuisement