Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

LA LITTÉRATURE SERBO-CROATE 35

en lui le régénérateur des nations. J'ai dans ma bibliothèque un livre bien rare, — probablement unique en France ; c’est une grammaire française en langue croate, rédigée par un curé croate, Sime Starcevic!, d’après une grammaire allemande de Mozin, qui était fort à la mode. Elle porte ce titre : Nouvelle grammaire üllyrico-françcaise à l'usage de la Jeunesse militaire des provinces illyriennes. Ce livre est imprimé à Trieste et daté de 1812. 1819! Un an plus tard, cette jeunesse militaire que Napoléon révait de mettre au service de la France échappait à sa domination et rentrait au service des Habsbourg.

Le poète Vodnik crut à l'éternité du régime français et de la dynastie napoléonnienne. Dans une ode enthousiaste, le Réveil de l'Iyrie, 1 chanta le passé et les espérances de son peuple :

Napoléon a dit: Réveille-toi, Illyrie. Elle s'éveille, elle soupire : Qui me rappelle à la lumière ? O grand héros, est-ce toi qui me réveilles? Tu me donnes ta main puissante, tu me relèves.. Le Grec et le Latin appellent notre pays l'Ilyrie; mais tous ses fils l'appellent la Slovénie. Le citoyen de Raguse, l'habitant du littoral, de Cattaro, de Goritsa, tous, de leurs anciens noms s’appellent Slaves.

Chez les Sloyènes pénètre Napoléon; une génération tout entière s'élance de la terre. Appuyée d’une main sur la Gaule, je donne l'autre à la Grèce pour la sauver. A la tête de la Grèce est Corinthe, au centre de l'Europe est l'Illyrie, On appelait Corinthe l'œil de la Grèce, l'Illyrie sera le joyau du monde?.

Napoléon évacua l’Illyrie ; le rêve de Vodnik s’évanouit. Toutefois l’empereur François I sembla lui donner un semblant de satisfaction en créant en 1816 un royaume d’'Ilyrie qui comprenait la Carniole, les pays de Goritz et de Gradisca, de Villach et de Klagenfurt, le littoral et une petite partie de la Carniole. Le titre un peu fantastique de

1. Ce Sime Starcevitch, qui est mort en 1858, était le grand-oncle d’un homme politique croate, Ante Starcevie, qui me fit cadeau du volume il ya une vingtaine d'années. L

2. J'ai traduit l’ode en entier dans le Monde slave (&.I, 2e.édit:, p. 32-33).