Souvenirs de Russie 1783-1798 : extraits de journal de Mme Leinhardt

6 J. CART

première vue. L'attente fut un peu longue et ce ne fut que vers les six heures que nous vimes paraître la garde de cosaques qui accompagne la souveraine, Un moment après, les carrosses parurent. Celui de l'Impératrice était attelé de dix chevaux; il était à six places, avec les panneaux en glace. On comprend que les trompettes et tymbales ainsi que les canons du château firent leur devoir dans cette circonstance. Après avoir vu tourner le carrosse au bout de l'avenue, je m'étais collée contre la jalousie de mon cabinet où je ne respirais pas. Toutes mes facultés, tous mes sens étaient dans mes yeux et mon imagination était frappée en même temps de tout ce que l’Impératrice avait déjà fait de grand et de tout ce qu'elle pouvait faire encore. C’étaient des sensatiohs inexprimables. J'aurais voulu pouvoir me jeter à ses pieds et pleurer à mon aise. Elle avait à ses côtés M'° de Prattenoff, sa première demoiselle d'honneur, et le général Lantzkoï; vis-à-vis, Me la générale de Lieven, avec ses deux petits-fils et le comte de Czernicheff, Quand elle approcha, elle fit signe de la main d'entrer dans la cour. Ensuite elle s'assit pour un moment; puis elle vint se promener dans la galerie, où j'eus le plaisir de la voir à mon aise, car nous étions tous debout à l'entrée de notre appartement dont elle s'approcha deux fois fort près. Sa taille est au-dessus de la moyenne ; elle a beaucoup d'embonpoint, ce qui lui donne un air de fraîcheur très avantageux à son âge. Elle a le teint assez blanc, de beaux yeux bleus et un sourire extrêmement gracieux. On est enchanté surtout de la noblesse aisée qui est répandue sur tout ce qu'elle fait. » Suit une minutieuse description de la toilette de l'Impératrice. Puis Mie I. ajoute : « L'Impératrice ressemble beaucoup aux bustes et médaillons qu'on a de sa personne. On la dit très liée avec la princesse Dashkoff qui est une femme savante el présidant l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg. Cette dame est toujours habillée comme elle et l’on dit qu'elle a beaucoup de rapport avec elle dans ses manières et sa façon de penser. Elle n'était point de la suite d'hier. Il n'y avait que deux demoiselles d'honneur et sept ou huit cavaliers en comptant le comte. Je distinguai parmi eux le général Lantzkoï qui est une des plus brillantes figures que j'aie jamais vues. Je ne dirai rien des jeunes grands-dues que je n'ai pas vus d'assez près, sinon que ce sont de beaux enfants et surprenants pour leur âge par leur taille. Il est assez plaisant de les voir porter le cordon de Saint-André par-