Sur un portrait inédit de Naundorff : (1832)

SUR UN PORTRAIT INÉDIT DE NAUNDORFF 5

Ainsi, Naundorff, rusé psychologue, disait dès 1832 beaucoup de « bêtises » pour gagner beaucoup de partisans. Dût-il débiter comme antérieurement des erreurs grossières et accablantes pour lui!, il présageait bien que ces bévues passeraient, entraînées dans le fleuve des mystifications et de la rhétorique mystique. Il parlait donc avec entrain, lançait pour la France un manifeste cacheté « par un dauphin couronné », cédait par testament le trône à Henri V, sous la condition de pardonner aux prisonniers politiques et de faire cesser quelque temps les contributions sur le pain, le sel et la viande, etc. Il faisait, en un mot, mille folies qu’Albouys, parfois inquiet, croyait généralement royales.

Tant y a qu’en juillet 1832, notre prétendant, qui ne parlait guère que le patois saxon et « l’argot des voleurs » ?, se disposait à partir. Mais le 18 de ce mois, il demeurait toujours à Crossen. C'est du moins ce qui ressort de l'en-tête d’une lettre écrite par lui au rédacteur en chef de la Comète, journal de Leipsick, et insérée dans le n° 132 de la troisième année, à la date du 1° août. Cette lettre débute ainsi : « Crossen, 18 juillet 1832. » Il semble même que Naundorff n’eût pas encore quitté les rives de l’Oder le 26 juillet suivant.

Mais le 28 octobre, une missive (où, d’ailleurs, était parlé le langage le moins équivoque de la plus pure escroquerie) partait de Genève pour Cahors, la ville d’Albouys l’ingénu : « Je suis depuis deux mois dans la Suisse », lui disait Naundorff. Depuis deux mois, c’est-à-dire depuis le 28 août environ.

Rien n’est moins prouvé cependant que cette date d’arrivée en Suisse. La seule chose qu'on sache positivement par une lettre de quête inédite envoyée par « Jeanne Naundorff » ? à Charles X qui, se rendant d’Ecosse à Prague, passait par Francfort-surl'Oder, voisin de Crossen, c’est que, le 18 octobre, i/ était « absent ». Mais on ignore la date exacte de son départ. Portors-la donc, pour lui faire plaisir, à quatre semaines et demie

1 En 1825, Naundorff ignorait encore que Louis X VI avait été guillotiné et, dans le récit dit de Brandebourg, signé par lui « Ludewig Burbong » (sic), racontait qu'il avait quitté la France « avec son père » et qu'il avait ensuite passé dix ans avec lui. En 1831, dans le récit dit de Cressen, il donnait au dauphin, dont les cheveux étaient d’un incontestable blond, des boucles « brun noir ».

? Interrogatoire du 18 avril 1825. (Voir l’article de Gustave Bord dans la Libre Parole du 15 mars 1911.)

3 C'était la femme de Naundorff. Fille d’un fabricant de pipes, elle était née Einert. Depuis quelques années, les naundorffistes l'ont anoblie. Dansa les généalogies de la « branche aînée des Bourbons » (sic), elle porte désor mais le nom de Einert de Havelberg. Elle avait quinze ans et huit mois quand elle épousa l’horloger de Spandau, lequel se donna alors quarantetrois ans, c’est-à-dire dix de plus que le dauphin.