Étude sur les idées politiques de Mirabeau
20 F. DECRUE.
mais, je le répète, on ne se donne pas ce singulier génie qui ne peut se produire qu’à la tribune; et c’est beaucoup de pouvoir, par le travail, conserver à la tribune une partie de celui qu’on avait dans le cabinet.
Les collaborateurs de Mirabeau une fois relégués au second plan, il convient cependant de savoir la part d'autorité qu'ils sonten droit derevendiquer dans la conduite de leur illustre maître. Ils étaient nombreux ; Mirabeau, s'adressant tantôt à l’un, tantôt à l’autre, risquait de changer d'opinion comme de style. Ne possédait-il pas d'idées à lui ? les empruntait-il au premier venu ? les prenait-il n'importe où ? Sa méthode de travail l’amenait à émettre des opinions contradictoires suivant les auteurs de ses écrits. Royaliste avec les uns, il pouvait devenir républicain avec les autres. Deux de ses biographes, MM. de Montigny et de Bacourt, attribuent certaines de ses motions à ses amis de Genève, notamment celles qui étaient antimonarchiques!. En ceci ils ont tort; les Genevois lui conseillaient plutôt des mesures modérées. Sans doute, l'influence des milieux ne saurait se nier : on peut remarquer que, pendant les absences du comte de La Marck, avec qui il s'était lié, Mirabeau tenait un langage beaucoup plus révolutionnaire. Cependant cette influence n’est pas profonde : elle ne se laisse sentir que dans les questions secondaires. Au fond, on peut tirer de Mirabeau même tout un système de gouvernement. Une doctrine, qui lui est propre, se dégage de ses discours comme de ses écrits, et ne se dément pas une seule fois dans les notes qu’il envoie à la cour. L'objet de cette étude porte précisèment sur cet ensemble d'idées politiques. Mirabeau se flatte, à bon droit, de n’avoir pas varié sur ce point : constance étonnante chez un homme aussi passionné que lui, et aussi opportluniste, peut-on ajouter.
Comme publiciste, il avait déjà, avant 1789, contribué à la Révolution. Mais dans ses nombreuses brochures d’alors, ses idées étaient vagues et banales. Ce n’étaient que d'emphatiques déclamations contre l'arbitraire, la tyrannie, le despotisme. Il en soufirit plus que tout autre et, plus que tout autre aussi, cet homme passionné en éprouva l'horreur. Mais, avant lui, bien des philosophes avaient fait, avec plus de talent, de semblables pro-
1. La Marck, 1, 96. Discours sur le renvoi des troupes.