Les philosophes et la séparation de l'église et de l'état en France à la fin du XVIIIe siécle
LES PHILOSOPHES ET LA SÉPARATION DE L'ÉGLISE ÊT DE L'ÉTAT. 3
lité de tous les cultes : « Comme il n’y a guère que les religions intolérantes », dit-il, « qui aient un grand zèle pour s’établir ailleurs, parce qu'une religion qui peut tolérer les autres ne songe guère à sa propagation, ce sera une très bonne loi civile, lorsque l'État est satisfait de la religion déjà établie, de ne point souffrir l'établissement d'une autret. Voici donc le principe fondamental des lois politiques en fait de religion : quand on est maître de recevoir dans un État une nouvelle religion ou de ne pas la recevoir, il ne faut pas l’y établir; quand elle y est établie, il faut la tolérer?. »
On sent déjà percer sous ces conseils politiques un certain scepticisme, pour ne pas dire un certain dédain, sur les mérites réciproques des religions. Fidèle à sa théorie des climats, ne considère-t-il pas les religions en quelque manière comme un produit des conditions naturelles? La métempsycose, explique-t-il, est faite pour le climat des Indes, car l’excessive chaleur fait mourir le bétail qui disparaïîtrait, n’était la loi religieuse qui le conserves, « Athènes avait dans son sein une multitude innombrable de peuple; son territoire était stérile; ce fut une maxime religieuse que ceux qui offraient aux dieux de certains petits présents les honoraient plus que ceux qui immolaient des bœufst. »
A part ces différences qui tiennent au pays où elles sont nées, toutes les religions se valent ou à peu près pour Montesquieu. Leur efficacité morale et sociale est équivalente, car il ne doute pas de cette efficacité. Il en doute si peu qu'il réfute longuement le paradoxe de Bayle qui avait prétendu prouver, dans ses Pensées sur la Comète, « qu'il valait mieux être athée qu’idolâtre; c'est-h-dire, en d’autres termes, qu'il est moins dangereux de n'avoir point du tout de religion que d'en avoir une mauvaise ». « C'est mal raisonner contre la religion », dit Montesquieu, « de rassembler dans un grand ouvrage une longue énumération des maux qu’elle a produits, si l’on ne fait de même celle des biens qu’elle a faits. Si je voulais raconter tous les maux qu'ont produits dans le monde les lois civiles, la monarchie, le gouverne-
1. 1] ajoute en note cette restriction prudente el ironique : « Je ne parle point, dans tout ce chapitre, de la religion chrétienne, parce que, comme j'ai dit ailleurs, la religion chrétienne est le premier bien, »
2. Esprit des lois, livre XXV, ch. xu.
3. Livre XXIV, ch. xxiv.
4, Ibid.