Mirabeau et Tacite
132 LA REVUE DES REVUES
insidieuse d'un esclave. Le futur orateur de la Constituante proclame la liberté, le premier de tous les biens, D’après lui, les peuples ont un droit absolu à l'indépendance et à la justice. Tournant alors ses regards sur son propre pays, il déclare qu'il est impossible de vivre sous un régime qui ose se servir des lettres de cachet. Il ne peut se consoler de la perte de la liberté, et arrivant à examiner quelle serait la Constitution la plus heureuse etla plus durable, il dit que ce serait celle qui assurerait l'indépendance du peuple et qui fonderait le pouvoir légitime sur une juste autorité. Mirabeau admet qu’on puisse céder à l’ascendant du génie; il défend d'obéir au despotisme. Enfin la voix de l'opinion publique doit toujours se faire entendre et être entendue. Revenant alors aux Bretons qu'il aime, il fait l’éloge de leur fermeté, de leur haine de la mollesse, de leur amour de la guerre. Il regrette qu'ils nese soient pas fortement confédérés, car jamais l'étranger ne les eût conquis. Examinant ensuite leurs forces militaires, il cherche à établir que les troupes réglées ne sont bonnes qu'à installer une autorité arbitraire, puis à en précipiter la chûte, et il cite à cet égard les légions romaines qui étaient devenues des troupes plus propres à la révolte qu'au combat. Il conclut à la décadence des Etatsquisont défendus par de telles légions et à la nécessité de puissantes confédérations pour les pays qui veulent vivre.
On voit dans cet écrit de Mirabeau percer déjà les idées qui -eront sa popularité : la haine de la tyrannie, l'amour absolu de la liberté, l'appel à l'insurrection contre les despotes, l'installation d'un pouvoir fort, juste et libéral, la nécessité de la fraternité et de l'union, la prédominance de l'opinion publique, la valeur d'un peuple uni et armé pour son indépendance. Cette belle préface mérite donc d’être lue avec l'attention qu'on doit porter à tout écrit sorti de la plume de Mirabeau.
Il me paraît en outre assez piquant de faire remarquer que cette même Vie d'Agricola a eu depuis pour traducteur le prince Napoléon-Louis-Bonaparte, fils du roi Louis, tué à Forli en 1831. Voici ce que ce prince, au début d’une traduction pareille et destinée uniquement aux personnes de sa famille, écrivait à sa cousine Juliette de Villeneuve. Je le cite, parce que ses appréciations se rapprochent beaucoup de celles qu'avait émises sur le mème sujet Mirabeau lui-même.
« Ma chère cousine, j'espère que vous voudrez bien accepter ma traduction de la Vie d'Agricola.. Je vous la dédie en marque d’une amitié bien sincère.
« Tacite est le modèle des écrivains; presqu’à chacune de ses