Les philosophes et la séparation de l'église et de l'état en France à la fin du XVIIIe siécle
LES PHILOSOPHES ET LA SÉPARATION DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT, 13
L'intérêt général est la règle de tout ce qui doit subsister dans l'État. Second principe.
Le peuple, ou l'autorité, souveraine dépositaire de la sienne, a seul le droit de juger de la conformité de quelque institution que ce soit avec l'intérêt général. Troisième principe.
Ces trois principes me paraissent d’une évidence incontestable, et les propositions qui suivent n'en sont que des corollaires.
C’est donc à cette autorité et à cette autorité seule qu’il appartient d'examiner les dogmes et la discipline d'une religion; les dogmes, pour s'assurer si, contraires au sens commun, ils n’exposeraient point la tranquillité à des troubles d'autant plus dangereux que les idées d’un bonheur à venir s’y compliqueront avec le zèle pour la gloire de Dieu et la soumission à des vérités qu'on regardera comme révélées; la discipline, pour voir si elle ne choque pas les mœurs régnantes, n'éteint pas l'esprit patriotique, n’affaihlit pas le courage, ne dégoûte point de l'industrie, du mariage et des affaires publiques, ne nuit pas à la sociabilité, n’inspire pas le fanatisme et l’intolérance, ne sème point la division entre les proches de la même famille, entre les familles de la même cité, entre les cités du même royaume, entre les différents royaumes de la terre, ne diminue point le respect dû au souverain et aux magistrats et ne prêche ni des maximes d’une austérité qui attriste, ni des conseils qui mènent à la folie.
Cette autorité, et cette autorité seule, peut donc proscrire le culte établi, en adopter un nouveau ou même se passer de culte, si cela lui convient. La forme, générale du gouvernement en étant toujours au premier instant de son adoption, comment la religion pourrait-elle prescrire par sa durée ?
L'État a la suprématie en tout. La distinction d’une puissance temporelle et d’une puissance spirituelle est une absurdité palpable, et il ne peut y avoir qu'une seule et unique juridiction partout où il ne convient qu’à l'utilité publique d’ordonner ou de défendre...
Point d'autre concile que l'assemblée des ministres du souverain. Quand les administrateurs de l'État sont assemblés, l'Église est assemblée. Quand l’État a prononcé, l'Église n’a plus rien à dire.
Point d’autres canons que les édits des princes et les arrêts des cours de judicature...i.
Sans doute la logique un peu sèche de l'abbé Raynal conduit par ses conséquences extrêmes à l” État laïque, mais elle ne con duit pas à V État neutre et moins encore à la séparation de l'Église et de l’État. Elle conduit immédiatement à l'asservissement de l'Église, dans le lointain à la suppression de l’ Église.
1. Histoire des deux Indes, XIX, u, dans Les écrivains politiques... p. 388390 .